Friday, March 27, 2020

« Je n’ai rien d’autre à dire, pour le moment »

Déjà, elle l’aimait. C’était devenu l’impossible, d’à ce point admirer l’autorité, elle qui avait tant lutté pour ne pas se laisser dicter une quelconque manière de vivre. Ainsi, il avait fallu que les jours se ressemblent tous pour qu’elle prenne conscience qu’elle s’était toujours refusée à aimer. L’agent de la tentation l’occupait plus que tout, la figeant de longues heures devant les pages de ce nouveau roman qu’elle avait souhaité, pour une première fois, différent de tous les autres, et elle avait devant elle le récit d’un désir entièrement assouvi dans lequel elle prenait beaucoup de plaisir à se mirer. Il se verrait chaque matin au lever du soleil. Elle lui donnerait un à un ses romans. « Tout est là. Je n’ai rien d’autre à dire, pour le moment. » Il passerait ses nuits à la relire. Était-ce possible, une telle vie ? Il finirait par enquêter sur elle le soir au lieu de remplir ses rapports. Ce serait bien elle, elle serait là sous ses yeux, tête penchée, mais il ne trouverait aucun détail qui pourrait la dévoiler. Il imprimerait son portrait pour être avec elle plus longtemps, puis il se douterait, instinctivement, qu’elle lui avait caché quelque chose, que ses romans, contrairement à ce qu’elle lui avait dit, n’en révélaient qu’une partie, le laissant élaborer d’autres explications pour cette étrange femme qui était née, obscurément, à Levallois-Perret. Il allait profiter de sa fonction pour se poster devant l’adresse qu’elle avait indiquée sur son document. Il ne la verrait jamais ni entrer ni sortir. Ce serait toujours à la même heure, au même endroit, le rendez-vous mystérieux de l’elfe citadine. Il n’oserait jamais la remettre en question. Ce ne serait que quelques minutes. Pas le temps d’interroger. Elle courrait, avec le même sourire élégant. Ce serait à son tour de rêver, comme de la désirer, que tout cela ne finisse jamais tant la nouvelle histoire n’était plus que ce qui se passait en chacun, des troubles aux heures passées à écouter à l’intérieur du corps enfin médité ces émotions inconnues qu’aucune situation n’avait jusqu’ici permises. Alors, il s’attendrait à ce qu’un jour elle lui tende un autre papier, une lettre d’amour où elle lui dirait tout, ce qu’elle avait ressenti ce premier jour et comment elle s’était occupée apprenant à patienter avant de le retrouver, avant de revenir enlacés, libérés, se promener sur le lieu de leur rencontre, un soir d’été.

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