Wednesday, September 23, 2015

René Char

LES MESSAGERS DE LA POÉSIE FRÉNÉTIQUE

Les soleils fainéants se nourrissent de méningite
Ils descendent les fleuves du moyen âge
Dorment dans les crevasses des rochers
Sur un lit de copeaux et de loupe
Ils ne s'écartent pas de la zone des tenailles pourries
Comme les aérostats de l'enfer

Monday, September 21, 2015

Vortex temporum - 4

Ce soir-là, on avait décidé de ne pas trop boire, pour avoir les idées claires, mais y avait très certainement trop de trucs déréglés. Un mec est passé, au mauvais moment. Peut-être qu’il n’avait pas assez d’argent à nous refiler, ou qu’il nous avait refusé une clope, ou que son sac à dos était trop chelou, ou qu’on avait décidé de se faire une petite chasse aux pédés, comme ça, juste pour se marrer, parce qu’on aimait les voir chier dans leur froc avec leurs T-shirts moulés, les foutre à poil pour voir s’ils arrivaient à bander devant trois beaux mecs comme nous, leur pisser dessus avant de se casser. Finalement, ne rien leur faire d’autre que de leur foutre la trouille. Lui, il n’était pas comme les autres. Il avait tout de suite balancer ses affaires dans l’allée et s’était mis à courir tout droit, sans rien dire. D’habitude, les mecs s’accrochaient à leur sac comme un animal protège son petit. Ils pensaient avant tout qu’on allait leur piquer leur pognon, cracher sur leur journal intime ou les photos qu’on trouverait. Ils lançaient de sourds déconnez pas les gars, comme tout le monde. Ils finissaient par ne plus essayer de s’échapper. On les encerclait pour les emmener un peu plus loin, au fond du parc, derrière un buisson. Alors, c’était comment de se faire enculer ? Tu crois que Dieu, il a voulu ça ? Tu crois que si ton père avait été pédé, tu serais là avec ta gueule de petite fiotte ? Baisse ton froc, connard. Baisse ton froc. On se foutait de la gueule de leur pubis bien rasé. Si on avait des bières dans les mains, on faisait mine de se branler et la bière leur coulait le long des jambes. Si on avait rien, on leur pissait dessus. La plupart du temps, ils se mettaient à chialer. On les laissait comme ça. C’était fini.


            Lui, il s’était barré en courant. Il avait fallu le courser un bon quart d’heure avant que Manu réussisse à le choper. À trois, on avait réussi à le maîtriser. Il ne disait rien. Ne bougeait plus. On l’avait traîné dans un hall d’immeuble dont on avait le code. On avait le code de presque tous les immeubles du quartier. On pouvait disparaître à tout instant. Se retrouver dans la cave d’un copain. Faire ce qu’on avait à faire et repartir. On ne sait pas trop pourquoi on décide ça ou ça, comme ça, mais celui-là, peut-être parce qu’on l’avait coursé, peut-être parce qu’il avait brusqué un peu nos habitudes, peut-être, tout simplement, parce qu’il nous avait surpris, c’était un peu comme si on l’avait mérité, c’était un peu comme si on l’avait désiré. Les mêmes questions, le même ordre, le même rituel. Enculer, Dieu, ton père. Baisse ton froc. Baisse ton froc, mais lui, il ne faisait rien. Ne bougeait plus. Seul son visage semblait nous dire Les gars, je sais que je vais passer un sale quart d’heure. Faites ce que vous voulez. Branlez-vous avec vos bières ou pissez-moi dessus. Vous êtes trois, et je suis seul. C’est ça qui rend la situation possible. Vous allez déverser votre bile sur moi, puis vous retournerez dans vos halls d’immeuble, boire votre Vodka et vos bières. Ce qui me rend impuissant ne vous rend pas plus puissant. Vous êtes juste hors la loi, en dehors de tout ce qui fait la convenance dans un monde où, de toute façon, nous n’arriverons pas à nous mettre d’accord, alors, autant accepter nos différences et passer notre chemin, mais c’est peut-être vous qui avez raison. Vous espérez qu’en m’humiliant, vous allez régler son compte à la société, que je vais véhiculer votre histoire à travers les empreintes que vous allez laisser, des marques de la haine que vous déversez sur les murs, mais je ne dirai rien, à personne, parce qu’au fond, je ne suis pas fondamentalement différent de vous. J’habite dans l’immeuble d’à côté. Moi aussi, j’ai eu les coups de pieds à la récré, les coups de poing dans la rue, les gifles en rentrant, les parents, les mômes, le frigo, les flics qui nous arrêtent sans raison, juste pour avoir le plaisir de nous palper les couilles, de sentir qu’on a un piercing là où plus personne ne va plus, là où l’on ne va plus rien poser d’autre qu’un gant de toilette mal savonné, seule langue sensuelle qu’on a pu trouver depuis qu’il ne se passe plus rien avec celle ou celui qui partage toutes nos nuits.

            Tout ce silence, ça avait rendu Manu hystérique. Baisse ton froc, connard. Baisse ton froc. Il s’était mis à tourner autour de lui comme une bête sauvage. Il lui poussait l’épaule de temps en temps pour le voir se déstabiliser, et Momo l’accompagnait dans son délire. T’entends ce que te demande mon pote ? Putain, tu vas le baisser ton froc ? Putain, putain, putain, putain, Manu, pourquoi il dit rien ? Toi parler français ? Oh ! Toi parler français ? Vas-y, explique-lui ce que ça veut dire baisser son froc. Momo l’avait pris par la poitrine. On lui avait baissé son froc en quelques secondes. Un petit coup de canif rapide à la ceinture. Les boutons du jean, éventrés. Ça nous faisait toujours marrer de découvrir leurs dessous, des slips comme on n’en avait jamais vus. Celui-là était blanc, bien serré. Le mec avait une petite étoile tatouée sur l’aine. Il ne bougeait plus. Il n’y avait plus que son regard qui parlait. Toi, tu vois que c’est trop, que tes potes vont trop loin. Pourquoi tu ne les arrêtes pas ? C’est pas toi le chef ? C’est qui le chef ? Y a pas toujours un chef dans vos bandes ? Y a pas toujours un mec qui peut tout arrêter ? Quelqu’un qui peut dire stop, et c’est fini. C’est quoi le deal ? C’est quoi le délire ? Qui faut-il convaincre ? Que faut-il faire ? Et que va-t-il se passer, au juste ? Mec. Est-ce que c’est ça ? Est-ce que ça ? Est-ce que ça que tu veux ? Vraiment ?

Monday, September 14, 2015

Vortex temporum - 3

Ce soir-là, on avait décidé de ne pas trop boire, pour avoir les idées claires. Des projets, on n'en avait pas beaucoup. Les seules choses qui changeaient, c'était quand il en manquait un. Une cuite mal passée, une soirée en famille pour fêter n'importe quoi, un rendez-vous aux ASSEDIC, une convocation au tribunal pour vol de mobylette. On ne s’en disait rien. On prévenait pas. On revenait, comme ça, sans rien dire. Au pire, si ça durait quelques jours, comme ça arrivait souvent avec Manu, on passait aux heures où on savait qu’y avait personne d’autre, à l’heure où les mères partaient chercher les gamins, où les pères n’étaient pas encore rentrés du taf. On n’avait même pas besoin de sonner. Le rap, à fond, ça suffisait pour comprendre. Un texto du genre tu bouges et Manu débarquait quelques minutes après, la gueule défoncée par on ne savait trop quoi. On disait rien. On ne regardait plus nos visages se dégrader. Un jour, c’était une dent. Un autre, l’œil bleu comme un steak, une crevasse de couteau dans la joue, la lèvre tuméfiée. Parfois, c’était juste la démarche. On boitait, courbé sur les côtes. C’était cassé, ou fêlé, ou juste déplacé. Le service d’urgence de l’hôpital nous avait fait attendre toute la nuit, nous faisant passer derrière les bébés, les vieilles et les clodos. Avec un peu de chance, on avait l’droit à une radio, mais c’était jamais sûr. La plupart du temps, le médecin nous disait de rentrer, sans même prendre la peine de nous ausculter, sans même prendre la peine d’inscrire notre nom quelque part. Déconner, c’était payer. On entendait dans un couloir qu’on l’avait bien cherché. Fallait appeler un pote, rentrer à pied, avaler ce qu’on trouvait dans la trousse à pharmacie de notre mère. Personne. Jamais personne pour nous soigner. Jamais personne pour nous consoler.


Sans se le dire, on attendait un déclic, un truc qui nous fasse bouger. On s'en foutait des formations et des travailleurs sociaux. On s'en foutait de trouver un travail, de chercher un appartement, d'aller prendre la température de nos gamins malades, d'attendre la fin du mois pour avoir plus de fric, de fêter Noël, de partir en vacances. On voulait juste une autre vie, là, tout de suite, ne pas être né ici, ne pas être allé dans cette école-là, ne pas avoir rencontré notre premier dealer. Ça concernait pas l’avenir. Ça concernait le passé, les coups de pieds à la récré, les coups de poings dans la rue, les gifles en rentrant, les parents, les mômes et la télé qui gueulent toute la journée, les chiottes dégueulasses, le frigo plein de tous ces trucs de merde qu’on voyait dans les prospectus, tout un passé à déchirer. Tout un passé impossible à oublier, qui faisait que notre sang, gorgé d’émotions, pulsait au rythme d’un autre monde, notre monde, notre monde. Un monde de violences, de cris, de saletés. Un monde impossible à changer.


Partout, c'était pareil. On s'écartait sur notre passage, on s'arrêtait de parler quand on entrait dans une boutique, on prenait les enfants dans les bras, on fermait les sacs, on poussait discrètement le tiroir-caisse. Les flics nous arrêtaient à chaque coin de rue, nous piquaient notre shit, se marraient en voyant nos gueules de quinze ans sur nos pièces d’identité. Ils aimaient bien montrer que, dans la rue, ils étaient des caïds. Ils nous plaquaient contre le mur ou contre leur bagnole, les mains en l’air, le froc suffisamment baissé pour laisser voir nos caleçons. L’hiver, le vent nous glaçait le ventre. Ne pas trembler. Ne pas pleurer. Il fallait que ça dure assez longtemps pour que les passants nous remarquent. Le sentiment d’insécurité venait régler ses comptes avec toutes les violences qu’on voyait dans le monde entier, sur TF1. Ici, on gérait les quartiers. On ne se laissait pas faire. Y avait enfin des coupables. Dans nos têtes, c’était comme un slam d’ennui permanent, et la suite, on la connaissait par cœur. Les bières, la Vodka, la fièvre qui monte dans les paumes de la main. On a envie de frapper le sol, de killer quelqu’un mais on peut pas, parce qu’il y a trop de rage dans notre corps, trop de haine contre le système, trop de j’t’emmerde, trop de fous l’camp. Trop d’amour qui n’a jamais trouvé son chemin. On sort, on tague dans la cage d’escalier, on pisse dehors, on passe par le parc pour prendre l’air et on se promène dans la vie, en attendant, en attendant, en attendant que ça bouge, tout seul, que tout s’efface et que d’un seul coup, ce soit du bleu, la mer, l’idéal. On retrouve les potes et on boit finalement plus que d’habitude, parce que l’alcool va enfin nous faire exploser la tête, au point où on n’en a plus rien à foutre de risquer notre propre mort et de se retrouver sur le trottoir, dans la pisse de clodo, sentant qu’on passera à côté de nous sans nous voir, sachant que le SAMU préfèrera ramasser les clébards avant nous, et nous, on attendra là, le déclic, l’espoir, ou la morgue.

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Friday, September 11, 2015

Hélène Bessette

Plus d'examen. Plus d'examinateur. Pas de personne décrétée supérieure pour dire au lecteur ce qu'il doit comprendre à tout prix. Qu'il a mal compris. Qu'il est sot ignare borné. Que lui, l'examinateur, a compris. Qui n'est ni sot ni ignare ni borné ni obtus ni buté. Qui a lu la réponse dans les livres. La réponse permise. La réponse dite intelligente. Il tire donc de sa poche un brevet pour prouver son intelligence et sa raison.
— C'est daté signé, dit-il, et certifié. J'ai vingt et vous avez zéro.
Le lecteur a trouvé en lui une réponse qui n'est pas celle de l'Université.
Le lecteur voyage.
Le lecteur est un grand innocent replacé devant le bateau blanc.
Du paysage-lumière.
Sa lente intelligence d'aveugle aveuglé qui se veut bien aveugle. De sourd qui se veut bien sourd. De muet qui se sait muet. Se résigne à ne comprendre qu'une phrase tous les cinquante ans.
Ne que.
Restriction.
- Mais elle est vraie, bégaie l'Innocent. Elle est vraie ma phrase. Ma belle petite phrase. J'en ai pour mon argent. J'en ai pour mon temps. Pour ma patience. J'en ai pour la vie. Je remplace la quantité par la qualité. Voilà tout. Tout mon crime.
Le professeur s'enflamme de honte et de colère. Il déclame :
- Vous mourrez, crie-t-il, sans connaître les richesses accumulées par les siècles de Culture.
Le lecteur n'entend rien à la Culture.
Il contemple le sillon des flots mouvementés, au bleu des mers du Sud.
Un trait. Un blanc. Un trait. Un blanc.
Je ne veux pas tout savoir.
Je veux bien me taire.
Je ne veux pas tout savoir.
Je veux bien me taire.
Un trait. Un blanc. Un trait. Un blanc.
Mourir sans savoir.
Être aveugle.
Ne pas expliquer. Ne pas comprendre.
Être inférieur.
Enfin inférieur.

Monday, September 7, 2015

Vortex temporum - 2

Ce soir-là, on avait décidé de ne pas trop boire. Les discussions de poivrots, ça allait bien deux minutes. Les bouteilles, y a rien à faire, fallait qu'on les finisse. Manu dégueulait dans les bacs à fleurs, on l'installait dans un coin, il nous racontait que son frère était parti en Amérique, qu'il avait une villa et un chauffeur, une petite fille, une piscine, il se mettait à gueuler contre les capitalistes et les profs d'anglais qui lui avaient mis des bulles pendant toute sa scolarité, à cause de son accent de merde, il gueulait contre les ministres qui piquent l'argent des contribuables, contre les ASSEDIC qui donnaient qu'aux arabes et il parlait de tous ces trucs qu'il voulait faire avec son argent quand il était ado ; il voulait acheter des motos, ouvrir un garage et puis il s'est acheté du shit, de la Vodka et des bières. Il était toujours aussi minable, Manu, quand il dégueulait dans les bacs. Il se mettait à chialer et on le regardait en écoutant la musique déversée par nos walkmans. On partait à cinq heures du mat'. On n'avait plus rien à fumer. Fallait rentrer.



On arrivait chez nos vieux, on bouffait le reste de pâtes froides, on matait la télé, on foutait nos grolles n'importe où et on s'endormait là, jusqu'à midi, jusqu'à ce que nos mères n'en puissent plus de nous voir squatter le canapé alors qu'elles devaient passer l'aspirateur et aérer le salon. Un café, un bout de pain et on se retrouvait dans le hall de l'immeuble. On arrivait tous en même temps, à un quart d'heure près, parce que nos vies, c'étaient les mêmes et ça, on le savait, on n'avait pas besoin de se le raconter.


On ressortait presque tout de suite du côté de la gare pour trouver des clopes et du fric. On postait Manu et sa gueule mal rasée entre le distributeur de tickets et la machine à café. Quatre-vingt-dix centimes le café. Un coup sur dix, on lui filait la monnaie. Nous, on remplissait nos paquets de clopes en taxant les passants. Un peu de fauche au passage quand les sacs restaient grand ouverts sous nos yeux. On prenait les portables et les porte-monnaie. Les calepins aussi, parce qu'on aimait bien mater ce qui occupait la vie de tous ces gens qui prenaient le RER et qui rentraient la gueule enfarinée. Les portables, on les filait à Momo pour qu'il les échange contre du shit. On passait chez Total pour acheter nos bouteilles. On tournait dans la boutique comme si on cherchait autre chose. On regardait les cartes Michelin et on parcourait la côte. Tout ce bleu. Toute cette eau. On feuilletait quelques livres, des trucs sur les tarots ou les records du monde. On ressortait avec nos bouteilles sous le bras et quelques Mars dans les poches. On traversait n'importe où, on prenait tout le trottoir, obligeant les mères à descendre leur poussette sur la chaussée, on restait devant l'école pour voir si l'institutrice était toujours aussi mignonne, et si elle flippait toujours autant de nous voir attendre là, on se demandait pourquoi les mères étaient si souvent enceintes, à quoi ça servait de mettre dans ce monde des colonies de capitalistes, à quoi ça servait de les envoyer peindre des sapins et faire des colliers de perles pour la fête des mères alors qu'ils allaient finir devant la télé à gratter leur millionnaire en bouffant des pizzas. On retournait dans le hall de l'immeuble. On commençait nos bouteilles. D'abord les bières, puis la Vodka. C’était ça, notre vie. Rien d’autre à foutre que de mater celles des autres passer en cendres sous nos yeux quand on brûlait les calepins, comme ça, parce que ça nous occupait, parce qu’il y avait tout à coup quelque chose qui bougeait réellement devant nous, toujours synchronisée avec la musique défilant dans nos écouteurs. Ça calmait la fièvre qui montait dans la paume de nos mains. Ça calmait l’envie qui nous prenait d’expulser la haine en frappant dans n’importe quoi, une boîte aux lettres, une poubelle. Un passant.

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Thursday, September 3, 2015

The Factory - [MAP] A way to find

Sometimes 
you just have to click the next link
to sink immediately into a deep sleep  
to throw somebody into confusion
To dive
Deeply
Into something else
Just to try
Just to know
Just to see you
Smiling
Or crying
You just have
To try
And remember

This is a way to find another way
To sink immediately into a deep sleep  
To sink immediately into a deep sleep
  
To sink 

Immediately

Into a deep sleep