Sunday, September 25, 2022

Gaëlle Obiégly

Comparés à mes cahiers, les livres que je conçois me semblent dérisoires. C’est pour ça que la plupart du temps, je les supprime. Ils font écran à ce qui s’écrit brutalement, par à-coups mais sans rupture et qui n’est pas montrable. Car si je le montrais cela deviendrait un livre et tout ce que je pourrais écrire à la suite de cette exposition serait sali. Sali n’est pas le mot juste. Quand je fais un roman, je désinfecte mon écriture. Je lui donne un goût de menthe. J’ôte les odeurs corporelles, toute trace de moi. Pour cela je produis un je intermédiaire, c’est celui de l’écriture, le je mythologique. Mytho, quoi. Il est plus durable que ma personne au jour le jour. C’est comme ça, ce n’est pas moi qui l’ai décidé : la fiction dure plus longtemps que les faits. Celle qui vous parle ici et maintenant s’offre une longévité qui dépasse largement l’espérance de vie d’une Occidentale actuelle. 

N'importe qui cherche à donner forme à sa vie, parfois en s’enrôlant dans l’armée, en se portant volontaire pour les tests de vaccins. L’écriture est une autre façon de se façonner une vie. Si je fais un livre, je m’efforce de faire disparaître les traces de moi, de mon moi périssable. Peut-être comme un malfaiteur après avoir commis un délit. Quand je fais mon cahier, je ne dissimule rien. Aucune police n’est à mes trousses, d’ailleurs. La personne qui va trouver mes cahiers n’aura pas envie de les lire, parions. Il y en a tellement que c’est décourageant. Ce n’est pas du tout écrit comme la littérature historiquement advenue. Ce n’est pas spécialement intéressant. Distrayant, encore moins. Et plus problématique, c’est plein de cruautés, de débâcles et d’allergies, d’infectes histoires de lit.