Sunday, October 23, 2016

Nicole Brossard

les yeux braqués sur l'horizon
à jamais il y a des motifs
dans nos vies fécondes
pour répéter

Tuesday, October 18, 2016

Dans le ciel gris



Dans le ciel gris se lève l’Entreprise, la Multinationale, la Société interne, celle qui gouverne l’Esprit, permet à l’invisible de créer, échec des négociations, l’opposition s’est repliée pour mieux s’équiper et surtout, mieux agir, chaque jour, l’écrivant s’adressant au lisant, notion fondatrice d’un nouveau mode de fonctionnement, convoquant des personnages, composant l’histoire individuelle d’un système qui n’aura d’autre conséquence que de nourrir la solitude, pour pouvoir dire « comme il a été fait », « comme il a été promis », face aux contradictions inhérentes, quand les sujets abordés s’épuisent, dispersés, continuant malgré tout à faire œuvre, essayant de traduire une forme d’homogénéité, réunir, confronter le temps nécessaire et le temps disponible, se rappeler les sacrifices, le constat primaire d’un coup d’épée dans l’eau, parce que les liens qui se tissent ne se commandent pas, la fabrique du tout n’a pas de méthode, preuve de sa complexité, de sa variété, chronique d’un instinct de survie afin d’être immédiat, spontané, au-delà des attendus, avec le recul nécessaire pour ne pas se laisser posséder, interroger sans se soucier, explorer, trier, former l’opinion et la traduire dans l’éternité.

Sunday, October 16, 2016

Camille de Toledo

Nous partons des villes, des campagnes, des forêts, des lacs, nous partons des océans, des glaciers, des montagnes, des plaines, des usines et des champs, nous partons de la colère, de cette colère qui en nous a grandi, nous partons d'une réalité qui refuse de se transformer.

Nous partons des récits de la fin qui prolifèrent, des récits d'experts qui n'offrent que l'apocalypse ou la conservation, nous partons de l'édifice de la peur, de ceux qui s'en emparent pour nous gouverner.

Nous partons de la corruption, de l'obscénité de la richesse, nous partons de l'arrogance de la puissance, des lois trop étroites pour les « nous » que nous sommes, nous partons des ordres maintenus, des frontières reconstruites.

Nous partons des discours de la consolation, des armes, de la passion des armes, de la violence, nous partons d'un temps d'éternelle présence, d'hypnose sans lendemain, nous partons de la nuit, de l'obscurité qui ne nous quitte plus.

Nous partons de la mort, de nos obsessions pour tout ce qui finit, nous partons des fictions, des histoires où nous nous sommes enfermés, nous partons des données qui nous sont assénées, des chiffres qui nous sont opposés.

Nous partons de la bêtise, de l'ignorance, nous partons de la soif et de la faim, nous partons des bouts du monde, du septième continent, nous partons des mers dépeuplées, des migrations empêchées, nous partons de la ruine, des spéculations sur la ruine.

Nous partons de la glace, de la glaciation des devenirs, nous partons de la gestion des risques, de la soif de métamorphose, nous partons des potentiels que nous sommes, de la terre qui nous est confisquée, du banc qui nous est interdit.

Nous partons de la guerre, des corps éprouvés par la guerre, nous partons de nos forces, de nos naissances, de nos esprits accaparés, des chants et des rengaines dont nous ne voulons plus, nous partons de la réalité, du combat pour la mettre à jour.

Nous partons des croyances et des fausses questions, nous partons d'un travestissement permanent de la vérité, nous partons de nos entêtements à vouloir devenir, nous partons de la colère et de nos impatiences, nous partons de l'esprit.

Nous partons de ce que peuvent transformer l'esprit et le corps, nous partons de l'humain et de la grâce animale, des espèces dont nous ne sommes qu'une forme fragile, nous partons d'un plus vaste parlement, d'un plus grand espoir.

Nous partons des vieilles catégories, des anciennes pensées, de nos aspirations à la métamorphose, nous partons de tous les recoins de la réalité où il y a une faim, une soif de métamorphose, nous partons du désir, de l'invention, de la résistance à la peur.

Nous partons...

Nous cherchons à précipiter ce départ, à nous départir.


Friday, October 14, 2016

La vie ne serait faite que de ça


La vie ne serait faite que de ça, d’inachevés, de fragments, de parties non communicables, non reconstituées, des annonces, des publicités mensongères, des espoirs inavoués, dans la crasse du quotidien, dans une fausse hygiène, avec des pièces noires remplies de désirs confondus, de pulsions, jusqu’à ce que l’air se rafraîchisse, jusqu’à ne plus pouvoir tenir, juste pour se rassurer, parce que plus rien ne tient, les tentatives s’effondrent, ce qui devrait circuler s’est arrêté, lentement, ne faisant plus que planter la désolation au centre du décor, banalités répétées, perpétuées, horizon bouché, à terre comme un clodo, laissant le corps s’abîmer, les vêtements se déchirer, devenus costume d’un clown pitoyable dont plus personne ne veut s’occuper, parce qu’il a choisi de ne pas affronter les obstacles qui l’auraient aidé à se relever s’il les avait franchis.

Monday, October 10, 2016

Comme un premier jour


Comme un premier jour, se préparant à une forme d’insomnie, à presque la même période qu’un an auparavant, parce qu’il s’est à nouveau passé un événement dans la prise de conscience, d’un corps nourri, habité, une terre riche, avec des échéances fixées, constamment reportées, pour dire que l’estimation était trop optimiste, alors, écrire comme jeter, perdre le fil, où il ne sera pas possible de construire, où il sera nécessaire de chercher, forçant à établir des connexions, créant un malaise, un silence, une forme d’inexistence, se concentrer pour ne pas se laisser envahir, mais ne pas chercher l’oubli, accueillir les images comme elles viennent, les admettre autant réminiscences que sortes de prédictions ou, plutôt, de formes en gestation, architecture de l’avenir, parce que l’incontrôlable ne choisit pas, il propulse sans raison apparente et, parmi toutes ces sensations, il y a celles qui meurent et celles qui naissent.

Sunday, October 9, 2016

Régine Detambel

Un être ne peut se comprendre, se libérer, répondre de soi que dans la mesure où il a conscience de se produire soi-même, où il se vit comme sujet de son existence. C'est pourquoi la lecture des grands textes est hautement réparatrice. Quand la bio-médecine a fait de vous un corps-machine qui ne répond plus et vous plonge dans le noir, quand vous êtes réduit à un organisme suspect et brutalement exclu du monde par ces expériences intimes que sont le vieillissement ou la solitude, qui vous isolent et vous terrifient, la lecture est là pour vous réinsuffler du souffle, du désir et du sens.

Tuesday, October 4, 2016

La pleine lune se lever


Une église sonne minuit. Transforme le paysage. Au bord du sommeil, ne voulant pas céder à l’inconscience, testant la force de la pensée, contrôlant l’insomnie, s’offrant encore du temps ailleurs, se laissant conduire par les sensations, pensant à l’instant créé. Il faudra se lever et recommencer, essayer d’en finir avec les addictions, essayer de comprendre les obsessions, la nécessité d’inventer, pour masquer, comme un long deuil du langage, s’occupant du moindre détail, point par point, jusqu’à se sentir presque entier, ne répondant plus qu’à sa propre temporalité, parce qu’il n’y a rien à raconter. C’est fini. C’est passé. Le crime a eu lieu. Le criminel a créé une victime et l’a laissée pourrir, vivante. Dans le marasme de l’impureté. Image toujours présente, pour vérifier, pour saisir encore l’intime, l’exposer, reproduire le geste jusqu’au bord de l’infini possible. Continuer ce qui a fondé le lien, se souvenir du pacte. Image heureuse qui surgit, riant de surprendre, tapant des mains, se souvenant d’un bon vieux temps, feignant de se rendre compte de ce qui a changé, et le monde, tout à coup, presque impossible de se garer, même sur le grand parking. Et lui, toujours là, et elle, toujours là, et ce bâtiment tout retapé, et celui-ci en construction. Les questions fusent. L’image sait déjà qu’elle a gagné. Que la journée de la victime est foutue. Ça se voit dans la façon de ne pas regarder en face, de toujours baisser les yeux, de ne pas intercepter le florilège de questions pour juste demander, fut-ce en hurlant, de cesser. La victime, honteuse, déjà prostrée, tente de se défaire de l’image, mais l’image ne croit pas aux adieux. Elle continue de rire, de suivre, de poser des questions, jusque là où la victime va, parce qu’elle sait que c’est en insistant un peu qu’elle aboutira à ses fins. Elle sait que le cœur de la victime accélère, que le temps est long d’attendre que le moment arrive, inchangé. L’image ne rit plus. Le regard est fixé sur la victime. Au bord de la falaise. L’eau ruisselante, ne respirant plus, tête serrée, jusqu’au vertige, le cœur battant à rompre les os, des couteaux partout déchirant la poitrine, devant, derrière, coups dans les jambes, corps obligé de se tendre pour ne pas s’effondrer, râle de moribond, confondu. Comme un exorcisme. Les douleurs de la tension excessive du corps laissent des courbatures sur la mâchoire, dans le dos. La respiration se radoucit. Marcher. Ne plus rien prévoir. Travailler les confusions. Les points communs. Ce qui permet de se sentir libre à chaque instant. Une barrière a été franchie. Encore. Le corps ne l’accepte pas. Un étau serre la tête. Le temps n’est plus qu’une punition. La poitrine enfoncée. Le dos souffrant. Regarder l’horizon. Les couleurs du ciel changer. La pleine lune se lever.


Sunday, October 2, 2016

Jean-Claude Mattrat



Le sens de l'anagramme     se mélange dans la mer

l'anglais a une farce    la langue française
acheter français     farce anarchiste
l'altérité     littérale
le cri fait     l'artifice
à l'atelier     la réalité

la référence     a créé l'enfer

dans les nuages     l'anus des anges
la lecture      l'acte relu
le verbe incarné    écrin vénérable
amour calme     caramel mou

la vérification     la foi craintive

la science     se calcine
l'éducation     la conduite
charité lente     la chrétienté
art, librairie     l'arbitraire  

la peinture     la tripe nue

saloper     la prose
rien à faire     ni à refaire
l'or est bien simple     si le plomb est rien

le sens de l'anagramme     la merde sans mélange