Tuesday, October 4, 2016

La pleine lune se lever


Une église sonne minuit. Transforme le paysage. Au bord du sommeil, ne voulant pas céder à l’inconscience, testant la force de la pensée, contrôlant l’insomnie, s’offrant encore du temps ailleurs, se laissant conduire par les sensations, pensant à l’instant créé. Il faudra se lever et recommencer, essayer d’en finir avec les addictions, essayer de comprendre les obsessions, la nécessité d’inventer, pour masquer, comme un long deuil du langage, s’occupant du moindre détail, point par point, jusqu’à se sentir presque entier, ne répondant plus qu’à sa propre temporalité, parce qu’il n’y a rien à raconter. C’est fini. C’est passé. Le crime a eu lieu. Le criminel a créé une victime et l’a laissée pourrir, vivante. Dans le marasme de l’impureté. Image toujours présente, pour vérifier, pour saisir encore l’intime, l’exposer, reproduire le geste jusqu’au bord de l’infini possible. Continuer ce qui a fondé le lien, se souvenir du pacte. Image heureuse qui surgit, riant de surprendre, tapant des mains, se souvenant d’un bon vieux temps, feignant de se rendre compte de ce qui a changé, et le monde, tout à coup, presque impossible de se garer, même sur le grand parking. Et lui, toujours là, et elle, toujours là, et ce bâtiment tout retapé, et celui-ci en construction. Les questions fusent. L’image sait déjà qu’elle a gagné. Que la journée de la victime est foutue. Ça se voit dans la façon de ne pas regarder en face, de toujours baisser les yeux, de ne pas intercepter le florilège de questions pour juste demander, fut-ce en hurlant, de cesser. La victime, honteuse, déjà prostrée, tente de se défaire de l’image, mais l’image ne croit pas aux adieux. Elle continue de rire, de suivre, de poser des questions, jusque là où la victime va, parce qu’elle sait que c’est en insistant un peu qu’elle aboutira à ses fins. Elle sait que le cœur de la victime accélère, que le temps est long d’attendre que le moment arrive, inchangé. L’image ne rit plus. Le regard est fixé sur la victime. Au bord de la falaise. L’eau ruisselante, ne respirant plus, tête serrée, jusqu’au vertige, le cœur battant à rompre les os, des couteaux partout déchirant la poitrine, devant, derrière, coups dans les jambes, corps obligé de se tendre pour ne pas s’effondrer, râle de moribond, confondu. Comme un exorcisme. Les douleurs de la tension excessive du corps laissent des courbatures sur la mâchoire, dans le dos. La respiration se radoucit. Marcher. Ne plus rien prévoir. Travailler les confusions. Les points communs. Ce qui permet de se sentir libre à chaque instant. Une barrière a été franchie. Encore. Le corps ne l’accepte pas. Un étau serre la tête. Le temps n’est plus qu’une punition. La poitrine enfoncée. Le dos souffrant. Regarder l’horizon. Les couleurs du ciel changer. La pleine lune se lever.