Friday, December 30, 2016

Pierre Senges

La vérité est plus tordue — ça, on le sait, toujours, la vérité est plus tordue, plus tordue qu'elle-même : la vérité est ce qui sort du trou dans lequel s'est enfoui le ver de terre : un tourtillon de sable, ornement de l'absence.

Tuesday, December 20, 2016

Mémoire de l'irrésolu


Mémoire de l’irrésolu, de l’inachevé, au rythme du temps qui passe, dans la douceur d’un air frais, une manière d’être comme une autre, attaché à tous les signes qui parviennent, dans la lucarne, des visages qui passent, effrayants, que seule l’enfance voit, comme un flash, observant ce qui se forme à l’intérieur, attendant d’être invités à assister à l’expression d’un lien d’entière confiance, de fine connaissance, ce don construit à partir de la matière vivante, ce qui échappera au prévisible, provoquera l’admiration, apercevant les pauses de la pensée quand seules quelques lettres sont suggérées, au sein même de son propre corps, le texte, prouvant sa fonction émotive, sa fonction réflexive, pour que le regard se porte dans l’immédiat entourage, détourné par la pensée d’un autre, quand se lever, faire quelques pas, toucher les objets du quotidien, s’habiller, ouvrir une porte, rencontrer un voisin, partir nager dans le ciel jusqu’à se reposer dans la foule face au panorama d’un spectacle permanent : l’humanité comme elle est ressentie, riche d’être puissamment plurielle et articulée.

Sunday, December 18, 2016

Claudine Hunault

Je sais que je ne peux démontrer
une chose que l'être inspire et qui ne répond pas correctement à la loi
la chose une fois éclose en moi demande sa ration de feu
comme le fauve exige son poids de chair crue

Je reparle de tout ça         aujourd'hui

puissions nous aller jusqu'aux confins de l'acte puis nous en éloigner
et laisser la musique dérouler le fil de ce qui n'a pas eu lieu

Friday, December 16, 2016

L'invisible en appel


L’invisible en appel, des images de quiétudes, au loin, espérant qu’un lien se tisse, qu’une histoire prenne forme, l’utopie assumée d’émotions rédemptrices, tentant l’inconçu, l’irrévocable, parce que les personnages ne se croisent que quelques instants, bouleversant le paysage, au cœur de l’inacceptable, comme un volte-face, ici, un peu de chacun, prêt à tout rompre, à cause d’un seul, à cause d’une diversion, un maniaque, devenu criminel, tranche de vie fauchée, au hasard de la désespérance, quand s’élève dans le décor le rempart de la foule, jouant à celui qui a compris, alors que des mondes se séparent, des navires coulent, l’horizon se dégage, purifié, l’armée des âmes a gagné, grâce à la confusion, grâce à la conviction, tendant la main, au bon moment, à l’univers riche de bontés, sourire illuminant le regard, chant du respect des différences, pour vivre entièrement l’érotisme d’une pulsion.

Monday, December 12, 2016

Maintenant doit surgir ce qui fleurit


Maintenant doit surgir ce qui fleurit, par le texte, grâce au texte, non pas celui qui se lit mais celui qui s’écrit, une mise à distance contre une volonté de ramener l’insensé au premier rang, le crime sans la fiction du crime, pour le rappeler, simplement, lettre par lettre, le nommer comme l’épeler, le désigner pour aider le verdict non de la morale mais de la justice, mort étouffé d’avoir été empêché de crier, enseveli dans les sables mouvants de l’âme, ce qui dispense de rédemption, sans scrupule, sans égards, accuser en public, en soulignant, en surlignant, un seul mot divertissant l’attention, comme un titre au milieu d’une page, quel suspens, quelle intrigue, parce que tout va se découvrir dans si peu de temps, un cadeau de noël, sortant du gâteau, avec un air de fête, des serpentins, au moment opportun, devant des centaines de témoins, des milliards de robots brassant la condamnation et la mêlant à tous les algorithmes, laissant faire les programmes dépourvus de sens critique pour faire des liens avec toutes les intimités volées, montré du doigt dans l’ombre d’un lectorat silencieux, le criminel à son tour tremblant, la victime victorieuse.

Sunday, December 11, 2016

Liliane Giraudon

La disparition du rituel une nouvelle forme de rituel      La question se pose      Aujourd'hui c'est la mode de dire que les livres ne changent rien      Mais je vous le dis      Lire change tout      Nous parlons Réalité      Nous sommes vos      Contemporains      Lire c'est vivre      C'est une machine de guerre      Une star du porno      C'est de vous qu'il s'agit      Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras      Ouvrez nos livres      Dormez habillés      Baisez debout      Creusez vos tombes      Le soleil s'est levé      La lune arrêtée à sa place

Tuesday, December 6, 2016

En premier lieu, tenter de feindre




En premier lieu, tenter de feindre, puis feindre vraiment, puis ne plus consulter, ne plus savoir, laisser faire ceux qui se sentent supérieurs, programmer une chaîne d’incompréhensions, le regard malhabile devant le déconcertant, tellement en retard, dangers mis à distance, le tout résolument tourné vers un avenir acquis, les écarts assumés, en question, l’autonomie et la stabilité, non pas comme un état mais comme une nature sociale, ce qui prend de la consistance, s’étoffe, douce odeur de fraîcheur, repos jadis volé, image suspendue d’êtres encagés, abandonnés, obsolescence du système, travaux inachevés, l’hypnose n’a plus d’effet, le cadre peut faire sens, offrir l’espace nécessaire pour qu’un sujet inattendu surgisse, un corps insoupçonné, ayant face à lui ce qu’il admire, conscient de son asymétrie, absorbant tout l’air disponible, au bord d’une falaise, bras ouverts, tournant sur lui-même, riant de provoquer les mouvements insensés de nuages dispersés, envoûtés, l’émotion gagnant la gorge, se faisant cri de larmes parce que les voies de respiration ne sont plus obstruées, où subitement tout devient chant, poème, distraction, une foule s’unissant pour ponctuer le temps de chacun, heureuse de commencer à vivre dans l’univers fictif, l’Éden de la joie, s’envolant, explorant, les visages comme accrochés à l’immense mobile de l’enfance, bras tendus, éclats d’expressions incontrôlées quand le réconfort s’aperçoit enfin au-dessus du berceau de l’âme, chers thèmes, à qui s’adresse la correspondance, la concomitance, restés se développer, se soigner, se nourrir, là où se sont vus les horizons naïvement rosés de l’aube éternelle.

Sunday, December 4, 2016

Claude Simon

Je me levai, allai mettre une pièce dans la fente de cuivre du piano mécanique et attendis que se déclenche la musique, le tintamarre discordant, multiple, sauvage, refoulant le temps, les bataillons serrés de notes aux ailes métalliques s'élançant, se déversant au rythme de cet implacable débit à la fois docile et impérieux, aveugle, inhumain, à l'usage sans doute des dieux et des sourds.

Mais rien ne vint. Sans doute était-il lui aussi détraqué et peut-être ne figurait-il plus là que par oubli, jusqu'à ce que le froid, l'humidité et le temps aient finalement raison de lui, jusqu'à ce qu'il s'en aille de lui-même en morceaux, absorbé peu à peu, digéré par cette chose monumentale dont le cartel noir au-dessus de la porte mesurait d'arbitraires, d'illusoires fractions (et rien avant, rien après, rien d'autre que l'alternance fixe et lente des étés, des hivers : les mêmes interminables journées d'août, les mêmes froids, les mêmes chaussures frappées sur le carrelage en entrant, laissant, détachées des semelles, les plaques de neige brune et fondante pointillées par les traces des clous, la même pente des rayons automnaux par la fenêtre, les mêmes ombres légères sur la vitre dépolie des hélianthes poussant le long du mur, le même silence, le même paisible tapage autour des chopines, au retour des foires, avec l'odeur âcre et acide du vin blanc, et dans une des deux chaises hautes et désuètes, parmi les buveurs, le même enfant sans innocence, aux joues de carton sale, frappant sa cuillère d'étain sur la tablette rabattue).

Par la fenêtre je pouvais voir au-dessus du toit violet de la grange d'en face, s'enténébrant peu à peu, s'enrobant d'ombre et de mystère, le grand sapin avec ses branches pendantes et chenues, insolite, noir, comme un vestige de la préhistoire, survivant des forêts englouties, des déluges dont les eaux en se retirant l'avaient laissé ainsi, encreux, sinistre, avec de longues barbes de mousse, ou d'algues s'égouttant lentement, courbant sour leur poids ses antiques branches.


Friday, December 2, 2016

Il n'y aurait donc aucun ordre



Il n’y aurait donc aucun ordre, le titre se trouvant à la fin, le moyen de transmettre au début, l’outil à portée de main, le travail agissant, en cours, en œuvre, exploitant les ressources d’un système sous estimé dans sa capacité de lier les fragments à la réalité d’un tout exigeant, auteur, personnage de lui-même, mis en espace dans la réalité, alors qu’il est censé disparaître dans l’œuvre, hommage du créateur, relation complexe entre un père et son fils, parce qu’il n’a existé que dans l’imaginaire, inconçu, incréé, là où les méandres se tissent, énergie retombée après des jours entiers de pleine puissance, au rythme de la vie, ce qui vient faucher en plein vol, l’incident, le mode d’une gouvernance instable, tentant un retour à l’ivresse d’un paysage nettoyé, avouant, se débarrassant peu à peu de ce qui encombre, loisible d’être en fonction, libéré mais exténué, ce qui compose le tout, en cours de réparation, par petite dose, parce qu’il est nécessaire de les aborder tous, un à un, quelques minutes chacun, mettant en question les lendemains, espérant que la structure prendra forme, pensée d’abord inversée, miroir du bon pas, à chaque fois, tant de temps pour s’en rendre compte, chassant la peur, oubliant la peine, les devoirs, les promesses, tout le contraire de l’invasion, pulsation de l’invisible, sensualité en gestation, ce qui se travaille dans la conviction, un jour, deux jours, tant de jours, la méthode en amont rejetée, comme un malade incurable pour se taire enfin dans l’immense volupté du désir, amant d’une nuit, l’écriture, si douce, relaxante, expérience d’un non-dit, saveur sucrée témoignant de la valse des lèvres, langue se penchant sur l’indicible, inventant un nouveau corps textuel, étrangeté du discours, accepté, comme tel, cambré, les bras étirés au-dessus de la tête, jambes repliées, ne jugeant pas le devenir, dans la durée, le long couloir de l’inconnu, sortir, s’expulser de la réclusion, administration du court terme, pour repenser l’action comme un contrôle, être seul maître à bord de la singularité, en attente, en formation, conduisant l’énergie déclinante pour garantir à la chute d’être évitée, ailes déployées, le sol encore si loin, pour se poser, pour repartir, chronologie d’un mystère, tourbillon de doutes, pour en finir, pour en finir, pour en finir avec la haine qui s’est injustement retournée sur elle-même, alimentant les virus plantés dans la sève du corps, jusqu’au bout des orteils, empêchant la simplicité d’une marche à travers le plaisir de ne plus être possédé.

Monday, November 28, 2016

Univers déployé de l'imaginaire



Univers déployé de l’imaginaire quand les grands tourments viennent de traverser plusieurs heures d’incertitudes, pour finir là, inchangé, après avoir lutté contre la culpabilité, trop de souvenirs remués, une volonté passive de se laisser conduire dans une image d’isolement, en route, pourtant, vers un monde déjà quitté d’idéaux trompés, fruit du paradoxe de l’addiction, aimer comme espérer, au bout d’une chaîne, à la croisée des souffrances, le signe qu’une force a agi, une confiance retrouvée grâce à l’honnêteté, de fait, de nouvelles amitiés liées pour s’adresser en dehors de fictives allusions, s’il avait été possible, plus tôt, de mieux adapter l’exigence, de faire que tout recommence à un niveau accessible de l’écoute, pour que l’exercice redevienne un moment choisi, la phrase s’immisçant dans son propre décor, mue dans sa propre action, le sujet apparaissant au détour d’une vision, ciel voilé, fraîcheur de la fin d’une saison heureuse, le long des jambes, un point d’étape de l’ascension, quand tous les dangers sont passés, au bord d’un lac, fleurs blanches éparpillées, une capuche sur la tête, l’air pur de la haute montagne, nageant en pleine nature, l’effort renouvelé pour aller, plus loin, surtout, plus loin, non pour fuir mais pour réussir, collectivement, à conduire la barque des insomnies vers d’autres paysages instantanés, tirés des profondeurs de l’émotion, comme le théâtre ouvert d’une grande plage de forêts intimes, cherchant à traduire en langage poétique ce que c’est que d’avoir été dévasté, bombe insensée, au cœur de l’innocence quand, rescapé, il n’y a plus qu’un verbe : continuer.

Sunday, November 27, 2016

Mireille Calle-Gruber

De livre en livre tout reprendre, une fois encore, une vie encore, une œuvre entière, écrire, afin de refictionner le monde au présent de la page, présent indicatif qui est la seule temporalité du geste d'écrire. Et le temps du vivant — abîme et renaissance.

Écrire : ce qui ne meurt pas.

Écrire : c'est ce qui ne meurt pas.

Tuesday, November 22, 2016

Nouveau champ de l'insoluble



Nouveau champ de l’insoluble où il devient précieux de se retrouver, brouillon d’un pire s’améliorant, mieux équipé pour entrer dans la durée, comme un jeu de piste, truffé d’énigmes, où l’apparent ne reflète que la partie infime d’un tout agissant en profondeur de l’être, où se croisent des racines non jugées, passant sans angoisse des zones qui, ailleurs, autrement, sans prise en compte de tous les autres, absents, seraient une fiction de l’échec alors qu’elles nourrissent l’expérience.

Sunday, November 20, 2016

Hélène Bessette

Elle décide de s'occuper. De s'agiter. De s'énerver. De s'exciter. De commander. D'exiger. De se promener. De regarder. D'examiner. De juger. De classer. De condamner. De rejeter. D'exalter. De comparer. De calculer. De dépenser. De recomposer. D'obtenir. De se souvenir. De recueillir. De maintenir. De parvenir. Elle décide de vivre. L'argent absent, elle se décide pour l'argent. Elle remplace les lettres du cœur par les opérations de la tête. De sa jupe en tergal, de son sweater en orlon, de son chemisier en crylor, de son mouchoir en rilsan, panonceau ambulant, la voici déterminée.
Vêtue de son manteau en arraché, en peigné, en croisé, en doublé, elle décide de se mêler à des foules qui là-bas se croisent.
Elle veut parler. Questionner. Répondre. Demander. Expliquer. Acquérir. Dépenser. Acheter ou renoncer. Disputer avec une vendeuse. Qui devenue un bref moment l'amie-ennemie, l'ennemie-amie, entrera dans sa vie.
Dominer son monde, le monde, des mondes. Et la situation.
Ne dominant plus dans les affections, elle dominera des situations.
Le verbe dominer est de toute évidence, le verbe numéro 1.
Le verbe champion. Super-vedette.
Le verbe à sensation.

Friday, November 18, 2016

Tous les errements de l'âme



Tous les errements de l’âme, partout, dispersés, témoins d’une profonde nostalgie, commençant à éclaircir comment la poésie du discours s’est faite enclave dans le corps-même du texte, à quel moment elle a répondu à l’appel déchirant d’un instinct de survie, le jour où un lieu s’est mis à évoquer l’existence possible d’un être habité des innombrables lectures de l’autre, sans crainte de vouloir cumuler, de vouloir dépenser, d’assouvir passionément la constance du désir, la chorégraphie de l’amour, la joie de se lever, en musique, de rire d’abord, de partager, d’entrer dans des pièces aujourd’hui remplies d’une nouvelle histoire où un seul personnage fait foule, variation infinie d’une image reconstituée.

Monday, November 14, 2016

Celui qui s'est tellement avancé que l'écriture résonne



Celui qui s’est déjà tellement avancé que l’écriture résonne, comme supérieure, comme dimension qui échappe à ceux qui la reçoivent malgré eux, quand la pensée agit, travaille, construit, que le monde visible ne devient qu’une conséquence, qu’un mouvement s’articule en profondeur de la vie, ni céleste, ni souterraine, mais simplement autre que ce qui est directement perceptible, parce que les mots trouvés se sont plus justement adressés à celui qui s’est, aussi, avancé, au moment le plus juste, après avoir lui aussi traversé la première antichambre de l’intime où il s’est apaisé, laissant, en les livrant au silence, les égards infondés, les attentes démesurées, voyant la pureté de relations saines établir la source d’une nouvelle soif, se souvenant des heures partagées, des discours au passé, immédiatement ailleurs, autrement plus sensible et plus rayonnant, admirant la souplesse de l’esprit, comme en voyage avec des images éphémères, dans la douceur du réel, entier, écoutant la musique naître du corps, la désirant infiniment continue, prolongeant l’attention d’une sensibilité captivée, surprise qu’un sens soit dessaisi au profit d’un autre se formant, peu à peu, au fur et à mesure que la phrase se déroule, lue, entendue, aperçue, comme un visage resté sur un quai, comme un regard croisé, comme un double espéré, même tenue, même attitude, presque au même endroit au même instant, plongeant les mêmes égarements dans les mêmes égarements, se soutenant quelques secondes, se souriant timidement, la rencontre et la séparation comme une seule donnée, quand un deuil immédiat foudroie l’émotion, qu’un regret suit l’espoir de tellement près que l’impensable s’oublie sur le champs.

Sunday, November 13, 2016

Hélène Frédérick

Un corps est trop étroit pour tout contenir. J'ai beau rester sans bouger sur le fauteuil, quelque chose me secoue : mes propres battements de cœur. Ce n'est pas le cœur, c'est Je qui bat, je bats à petits coups réguliers, et je m'interroge : qu'arrive-t-on à glisser de si puissant dans un personnage fictif qu'il se mette à susciter en nous un désir de chair ? On manipule l'argile de l'absence depuis si longtemps qu'on en obtient les formes d'un homme s'agitant, changeant, plus vivant qu'un homme.

Tuesday, November 8, 2016

Travailler la pauvreté de la phrase



Travailler la pauvreté de la phrase pour qu’elle ne trompe plus l’esprit qui la dévoile, d’un chemin de racines, tracé de l’irrégularité, à l’humeur de l’instant, rappelant que l’expérience s’est maintenant suffisamment engagée pour que l’échec ne fasse plus peur, car d’idéal en soi, de beauté pure, il n’en existe qu’à l’état de nature, d’un vent qui a soufflé, d’une pierre qui s’est posée, de la conviction d’une mort annoncée, comme l’écriture d’un destin, n’ouvrant plus d’autres impuretés que celles que jette un peintre insatisfait, pour que le rejet soit un geste créateur, se repousser, honteusement, parce que le mot qui s’est glissé révèle trop, parce qu’il en dit plus sur l’écrivant que sur le lisant, alors que la puissance de l’écriture est de s’inscrire dans le présent d’un autre, dans l’écriture d’un autre, transposant une manière d’aborder les senteurs d’un monde entourant, les fraîcheurs caressant les bras, les besoins de se voir à travers le comportement d’un autre regardant, ponctuant, avec des pauses, des égarements, des connexions qui n’appartiennent qu’à un seul être, dimension inévaluable de silences dont il ne subsiste aucune trace que ce qui a été réalisé dans la vie, sous forme de ponts, sous forme d’ouvertures de frontières, sous forme de lois, sous forme de manière d’enseigner, de dire, d’informer, de rire et d’espérer.

Sunday, November 6, 2016

Hélène Frédérick

À l'échelle de la forêt, ou sous une voûte étoilée, l'humain est bien forcé d'admettre qu'il n'est qu'un insecte. On nous a fait oublier à quel point cette idée de petitesse est reposante, de la même manière qu'on oublie de rappeler à quel point les missions divines, celles du totalitarisme marchand par exemple, sont épuisantes et vaines.

Wednesday, November 2, 2016

Ce qui se raconte


Ce qui se raconte ou comment on le raconte, se laissant porter par l’analyse immédiate d’un contre-sens, d’un regard perdu, d’un « nous » qui ne signifie rien, d’une énergie vainement déployée, du constat rassurant de l’honnêteté, de la vision d’un costume d’illusions, sentant, lui, le mensonge, où tout se met en confrontation comme autant d’issues si constitutives qu’elles ancrent les personnages dans leur propre essence, les rendant admirables parce que détachés de tout, œuvrant pour eux-mêmes, convaincus que leur autorité ou leur manque d’autorité ne se voit pas, dans chacun de leurs excès, images de l’indécision, figures de l’opprimé, reproductions fidèles d’un cumul hérité, naturellement assimilées, libres d’être sur la bonne voie avec, parmi elles, celle qui a oublié, tente de reconstruire à partir de la fragilité de l’enfance, sans projet apparent, ou celle qui dirige les consciences dans l’invisibilité d’un système déplacé.

Sunday, October 23, 2016

Nicole Brossard

les yeux braqués sur l'horizon
à jamais il y a des motifs
dans nos vies fécondes
pour répéter

Tuesday, October 18, 2016

Dans le ciel gris



Dans le ciel gris se lève l’Entreprise, la Multinationale, la Société interne, celle qui gouverne l’Esprit, permet à l’invisible de créer, échec des négociations, l’opposition s’est repliée pour mieux s’équiper et surtout, mieux agir, chaque jour, l’écrivant s’adressant au lisant, notion fondatrice d’un nouveau mode de fonctionnement, convoquant des personnages, composant l’histoire individuelle d’un système qui n’aura d’autre conséquence que de nourrir la solitude, pour pouvoir dire « comme il a été fait », « comme il a été promis », face aux contradictions inhérentes, quand les sujets abordés s’épuisent, dispersés, continuant malgré tout à faire œuvre, essayant de traduire une forme d’homogénéité, réunir, confronter le temps nécessaire et le temps disponible, se rappeler les sacrifices, le constat primaire d’un coup d’épée dans l’eau, parce que les liens qui se tissent ne se commandent pas, la fabrique du tout n’a pas de méthode, preuve de sa complexité, de sa variété, chronique d’un instinct de survie afin d’être immédiat, spontané, au-delà des attendus, avec le recul nécessaire pour ne pas se laisser posséder, interroger sans se soucier, explorer, trier, former l’opinion et la traduire dans l’éternité.

Sunday, October 16, 2016

Camille de Toledo

Nous partons des villes, des campagnes, des forêts, des lacs, nous partons des océans, des glaciers, des montagnes, des plaines, des usines et des champs, nous partons de la colère, de cette colère qui en nous a grandi, nous partons d'une réalité qui refuse de se transformer.

Nous partons des récits de la fin qui prolifèrent, des récits d'experts qui n'offrent que l'apocalypse ou la conservation, nous partons de l'édifice de la peur, de ceux qui s'en emparent pour nous gouverner.

Nous partons de la corruption, de l'obscénité de la richesse, nous partons de l'arrogance de la puissance, des lois trop étroites pour les « nous » que nous sommes, nous partons des ordres maintenus, des frontières reconstruites.

Nous partons des discours de la consolation, des armes, de la passion des armes, de la violence, nous partons d'un temps d'éternelle présence, d'hypnose sans lendemain, nous partons de la nuit, de l'obscurité qui ne nous quitte plus.

Nous partons de la mort, de nos obsessions pour tout ce qui finit, nous partons des fictions, des histoires où nous nous sommes enfermés, nous partons des données qui nous sont assénées, des chiffres qui nous sont opposés.

Nous partons de la bêtise, de l'ignorance, nous partons de la soif et de la faim, nous partons des bouts du monde, du septième continent, nous partons des mers dépeuplées, des migrations empêchées, nous partons de la ruine, des spéculations sur la ruine.

Nous partons de la glace, de la glaciation des devenirs, nous partons de la gestion des risques, de la soif de métamorphose, nous partons des potentiels que nous sommes, de la terre qui nous est confisquée, du banc qui nous est interdit.

Nous partons de la guerre, des corps éprouvés par la guerre, nous partons de nos forces, de nos naissances, de nos esprits accaparés, des chants et des rengaines dont nous ne voulons plus, nous partons de la réalité, du combat pour la mettre à jour.

Nous partons des croyances et des fausses questions, nous partons d'un travestissement permanent de la vérité, nous partons de nos entêtements à vouloir devenir, nous partons de la colère et de nos impatiences, nous partons de l'esprit.

Nous partons de ce que peuvent transformer l'esprit et le corps, nous partons de l'humain et de la grâce animale, des espèces dont nous ne sommes qu'une forme fragile, nous partons d'un plus vaste parlement, d'un plus grand espoir.

Nous partons des vieilles catégories, des anciennes pensées, de nos aspirations à la métamorphose, nous partons de tous les recoins de la réalité où il y a une faim, une soif de métamorphose, nous partons du désir, de l'invention, de la résistance à la peur.

Nous partons...

Nous cherchons à précipiter ce départ, à nous départir.


Friday, October 14, 2016

La vie ne serait faite que de ça


La vie ne serait faite que de ça, d’inachevés, de fragments, de parties non communicables, non reconstituées, des annonces, des publicités mensongères, des espoirs inavoués, dans la crasse du quotidien, dans une fausse hygiène, avec des pièces noires remplies de désirs confondus, de pulsions, jusqu’à ce que l’air se rafraîchisse, jusqu’à ne plus pouvoir tenir, juste pour se rassurer, parce que plus rien ne tient, les tentatives s’effondrent, ce qui devrait circuler s’est arrêté, lentement, ne faisant plus que planter la désolation au centre du décor, banalités répétées, perpétuées, horizon bouché, à terre comme un clodo, laissant le corps s’abîmer, les vêtements se déchirer, devenus costume d’un clown pitoyable dont plus personne ne veut s’occuper, parce qu’il a choisi de ne pas affronter les obstacles qui l’auraient aidé à se relever s’il les avait franchis.

Monday, October 10, 2016

Comme un premier jour


Comme un premier jour, se préparant à une forme d’insomnie, à presque la même période qu’un an auparavant, parce qu’il s’est à nouveau passé un événement dans la prise de conscience, d’un corps nourri, habité, une terre riche, avec des échéances fixées, constamment reportées, pour dire que l’estimation était trop optimiste, alors, écrire comme jeter, perdre le fil, où il ne sera pas possible de construire, où il sera nécessaire de chercher, forçant à établir des connexions, créant un malaise, un silence, une forme d’inexistence, se concentrer pour ne pas se laisser envahir, mais ne pas chercher l’oubli, accueillir les images comme elles viennent, les admettre autant réminiscences que sortes de prédictions ou, plutôt, de formes en gestation, architecture de l’avenir, parce que l’incontrôlable ne choisit pas, il propulse sans raison apparente et, parmi toutes ces sensations, il y a celles qui meurent et celles qui naissent.

Sunday, October 9, 2016

Régine Detambel

Un être ne peut se comprendre, se libérer, répondre de soi que dans la mesure où il a conscience de se produire soi-même, où il se vit comme sujet de son existence. C'est pourquoi la lecture des grands textes est hautement réparatrice. Quand la bio-médecine a fait de vous un corps-machine qui ne répond plus et vous plonge dans le noir, quand vous êtes réduit à un organisme suspect et brutalement exclu du monde par ces expériences intimes que sont le vieillissement ou la solitude, qui vous isolent et vous terrifient, la lecture est là pour vous réinsuffler du souffle, du désir et du sens.

Tuesday, October 4, 2016

La pleine lune se lever


Une église sonne minuit. Transforme le paysage. Au bord du sommeil, ne voulant pas céder à l’inconscience, testant la force de la pensée, contrôlant l’insomnie, s’offrant encore du temps ailleurs, se laissant conduire par les sensations, pensant à l’instant créé. Il faudra se lever et recommencer, essayer d’en finir avec les addictions, essayer de comprendre les obsessions, la nécessité d’inventer, pour masquer, comme un long deuil du langage, s’occupant du moindre détail, point par point, jusqu’à se sentir presque entier, ne répondant plus qu’à sa propre temporalité, parce qu’il n’y a rien à raconter. C’est fini. C’est passé. Le crime a eu lieu. Le criminel a créé une victime et l’a laissée pourrir, vivante. Dans le marasme de l’impureté. Image toujours présente, pour vérifier, pour saisir encore l’intime, l’exposer, reproduire le geste jusqu’au bord de l’infini possible. Continuer ce qui a fondé le lien, se souvenir du pacte. Image heureuse qui surgit, riant de surprendre, tapant des mains, se souvenant d’un bon vieux temps, feignant de se rendre compte de ce qui a changé, et le monde, tout à coup, presque impossible de se garer, même sur le grand parking. Et lui, toujours là, et elle, toujours là, et ce bâtiment tout retapé, et celui-ci en construction. Les questions fusent. L’image sait déjà qu’elle a gagné. Que la journée de la victime est foutue. Ça se voit dans la façon de ne pas regarder en face, de toujours baisser les yeux, de ne pas intercepter le florilège de questions pour juste demander, fut-ce en hurlant, de cesser. La victime, honteuse, déjà prostrée, tente de se défaire de l’image, mais l’image ne croit pas aux adieux. Elle continue de rire, de suivre, de poser des questions, jusque là où la victime va, parce qu’elle sait que c’est en insistant un peu qu’elle aboutira à ses fins. Elle sait que le cœur de la victime accélère, que le temps est long d’attendre que le moment arrive, inchangé. L’image ne rit plus. Le regard est fixé sur la victime. Au bord de la falaise. L’eau ruisselante, ne respirant plus, tête serrée, jusqu’au vertige, le cœur battant à rompre les os, des couteaux partout déchirant la poitrine, devant, derrière, coups dans les jambes, corps obligé de se tendre pour ne pas s’effondrer, râle de moribond, confondu. Comme un exorcisme. Les douleurs de la tension excessive du corps laissent des courbatures sur la mâchoire, dans le dos. La respiration se radoucit. Marcher. Ne plus rien prévoir. Travailler les confusions. Les points communs. Ce qui permet de se sentir libre à chaque instant. Une barrière a été franchie. Encore. Le corps ne l’accepte pas. Un étau serre la tête. Le temps n’est plus qu’une punition. La poitrine enfoncée. Le dos souffrant. Regarder l’horizon. Les couleurs du ciel changer. La pleine lune se lever.


Sunday, October 2, 2016

Jean-Claude Mattrat



Le sens de l'anagramme     se mélange dans la mer

l'anglais a une farce    la langue française
acheter français     farce anarchiste
l'altérité     littérale
le cri fait     l'artifice
à l'atelier     la réalité

la référence     a créé l'enfer

dans les nuages     l'anus des anges
la lecture      l'acte relu
le verbe incarné    écrin vénérable
amour calme     caramel mou

la vérification     la foi craintive

la science     se calcine
l'éducation     la conduite
charité lente     la chrétienté
art, librairie     l'arbitraire  

la peinture     la tripe nue

saloper     la prose
rien à faire     ni à refaire
l'or est bien simple     si le plomb est rien

le sens de l'anagramme     la merde sans mélange

Friday, September 30, 2016

Le compagnon évaporé

Il explique qu’il est le roi, ou comme le roi, qu’il est à la recherche d’une émotion perdue, que c’est là sa seule quête, depuis vingt ans, parcourant le monde avec toujours la même sensation de n’appartenir à aucun lieu visité. Partout, il assiste à l’éveil des sens, mais il n’en sent aucun qui le concerne directement. Il est peut-être condamné à errer. Le compagnon propose au roi de rester quelque temps. Il y a une longue rivière calme bordée d’arbres. On peut s’y promener. Au port, les gens sont simples. Il pourra se fondre et tenter de comprendre ce qu’il y a à trouver. Il suffira de ne rien dire. Le peuple, ici, n’interroge pas. Il n’aura juste qu’à écouter. Il accepte, laisse de longues minutes de silence s’installer, se tournant vers la fenêtre. Il regarde au loin. Sa voix se fait entendre, peu à peu, comme un murmure. C’est comme une chaleur permanente dans la gorge, comme si le corps était constamment épuisé. Le temps n’a plus de fonction. Il ne pense plus qu’à la sueur qui coule le long de son visage. Son dos semble ne plus rien pouvoir supporter. Il lutte pour ne pas s’avachir. Chaque matin, il pense qu’il y arrivera, mais il n’y arrive pas. La tentation est trop forte. Son cœur bat tout à coup plus rapidement. Il se tait. Le ciel est déjà rose. Quelques oiseaux s’affolent. Le vent se lève. Le murmure de la confidence reprend lentement. Il a la poitrine affaissée. Un goût métallique dans la bouche. Prendre de l’air est un effort constant. Il évoque une vague émotionnelle qui prend sa source en bas du ventre, remonte lentement. Le compagnon lui prend la main. Le roi se blottit. Il relève la tête, plonge son regard dans celui du compagnon. Un regard doux, un regard compréhensif, un regard heureux. Le roi va s’asseoir sur un lit, puis s’allonge au-dessus des couvertures. Il parle de plus en plus doucement, porte la main sur son ventre. Il dit que c’est là que la douleur se concentre. Le compagnon s’est assis près du roi. Il lui passe la main dans les cheveux. Le roi se déplace pour poser sa tête sur les jambes du compagnon qui lui dit qu’il restera avec lui s’il le souhaite. Le roi le remercie, et accepte. La nuit est profonde à présent. Le vent continue de souffler. La lune trône dans le ciel. Un ensemble d’étoiles forme un étrange triangle orange. Le compagnon murmure à l’oreille du roi qu’il aime se promener en forêt, qu’il sent dans ces moments-là qu’il appartient à quelque chose. L’été, parce que les températures le permettent, il y reste longuement. Il sent que le lieu est habité. Les feuilles et les brindilles au sol, les troncs arrachés, les marais, les profondes odeurs fraîches, tout lui parle. Il ne fait qu’écouter. Le roi demande au compagnon s’il l’emmènera dans ses forêts. Le compagnon sourit et lui dit que non, il ne l’emmènera pas, mais qu’il pourra aller s’y promener, seul. Chacun a sa propre forêt. C’est le lieu le plus intime qui existe. Mais il faudra qu’il fasse attention, car il y a des dangers. Partout, dans le monde, il y a des dangers. Un lieu sans danger n’existe pas. Les marins ici parlent de trous dans la plage, alors que l’on peut la voir s’étendre parfois sur plusieurs kilomètres, et marcher de jour sur l’estran comme étant déjà un peu dans la mer, mais la nuit, il y aurait des trous. Les marins disent qu’on ne les voit pas, mais que eux nous voient, comme s’ils étaient une partie du vivant, une partie du conscient, comme si quelque puissance extraordinaire invitait le corps à disparaître, comme si la nuit avait ce pouvoir que n’a pas le jour de mener jusqu’au bout le désespoir, au point où il serait irrésistible de céder au noir, de ne laisser aucune trace. C’est sans doute cette limite-là que l’on cherche. Son propre danger. Trouver le lieu où il semble possible de se dévoiler. Le silence s’installe à nouveau. Les mains caressent les corps dans la douceur de la nuit. Les pensées redeviennent individuelles. Chacun dans sa propre forêt. Le roi murmure qu’il connaît des lieux sans danger. Ce sont les lieux de l’imaginaire, contrôlés par la pensée. C’est là qu’il s’est fait roi. Qu’il a créé son compagnon, qui s’évapore.


Monday, September 26, 2016

L’intime rendu inaccessible



L’intime rendu inaccessible, fortifié, dompté, au cœur de la beauté, dissonance de l’âme, silences admis, aller sans retour, un pas de plus seulement, pour aider, pour s’aider, pour être là pour quelqu’un, ouvrir la porte, laisser entrer l’air, position incommode, continuer malgré tout, trouver la pulsion du renouveau, sans pause, sans heurt, sans malaise, sans contrainte, sans oubli de soi, se montrer entièrement, en confiance, puisque le temps est délimité, que les mots sont remplacés au fur et à mesure que la pensée s’inscrit, qu’il n’y a à présent qu’une seule émotion à transcrire, à adapter, à fusionner en un même corps pour faire naître l’individualité, la faire rayonner dans le flux continu d’une même vie, quand plus rien ne freine, plus rien n’empêche, que les chaînes sont rompues, esclave libéré, envol dans un ciel étoilé, fin de lune, fin d’un cycle, vécu comme l’aboutissement d’une force interne mise à profit pour sentir l’étendue de la nature de l’être sensible, creusé dans un tout désormais défini, proche de la plénitude, satisfait de sa propre existence.

Sunday, September 25, 2016

Claude Royet-Journoud

On se demande toujours pourquoi un poème se finit. Il existe quand on le reconnaît, comme on "reconnaît" un corps à la morgue. C'est une chose à la fois affreuse et étrange. C'est quand cela se détache. Tu reconnais quelque chose qui est absent, qui est soustrait au moment même où le poème est suffisamment anonyme pour que tu le signes.

Thursday, September 22, 2016

Cœurs ouverts



Cœurs ouverts de chaque côté, pour disperser l’énergie, la distribuer à l’inconnu, ou pour la concentrer, profiter des barrières franchies, du ralentissement de l’angoisse, un titre et le vide, ou un contenu sans titre, et tel un jugement de valeur, préférer se tourner vers le livre, vers la matière, vers le savoir être avec soi-même quand les événements de la vie continue ont mené à une nécessaire séparation, un nécessaire isolement, un repli non pas pour offrir plus, mais pour offrir mieux, un instant plus court mais plus dense, plus intense, plus précieux, de ceux qui resteront comme des points référents de ce qu’il est possible de partager alors que l’épuisement d’une autre réalité n’aurait fait que détruire la fragilité d’une illusion, d’un mensonge, battis sur le sable des non-dits parce que la vision déchéante est devenue insupportable, parce qu’il est trop tard, parce que le temps qu’il faudrait pour réparer n’est pas disponible, parce qu’il faut se consacrer à d’autres œuvres en cours, traitant du même sujet, las qu’il revienne à chaque page tournée, sous toutes ses formes, atrophié, amplifié, caricaturé, se faisant personnage dont il faudrait s’occuper constamment, remplir le vide de toutes ces heures perdues à ne rien faire qu’attendre qu’un avenir meilleur s’accomplisse comme si l’autre était seul responsable de l’apathie, comme s’il était devenu trop douloureux de s’arracher à sa propre condition pour échapper à ce qui sert d’oubli, pour s’élever dans la grâce d’une pleine conscience, s’avouant enfin n’être rien pour personne, pour vivre entièrement le rassurant détachement qui articule une saine création.

Sunday, September 18, 2016

Claude Royet-Journoud

Une extrême maladresse préside à tout cela. Je veux dire à l'élaboration d'une forme. Cette maladresse en est le cœur.

Friday, September 16, 2016

Robe sensuelle



Robe sensuelle, tissu couleur chair couvrant les bras, voile noir et léger sur le torse laissant deviner la sculpture ronde et fine des seins que tous les regards désirent, qu’ils soient femmes ou qu’ils soient hommes, volontairement discrets, captivés, capturés, comme si la présentation de la beauté se faisait unanime, douceur de l’éternelle divinité, s’élevant sur son char mythique, noble, sereine, les bras chargés d’enfants, faisant sens dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses paroles, forteresse de la neutralité, expression juste du bien, sur son passage, à sa vue, figeant l’émotion intégralement, cœurs transformés en rochers où vient fouetter la grande marée, gifler la vague, souffler un vent démesurément puissant, arrachant toute forme de vie, végétale, animale, eaux ruisselant dans les aspérités, violemment désolées de n’avoir plus qu’à se fondre dans l’immensité profonde d’un océan de larmes.

Monday, September 12, 2016

Au bout d’un pinceau fin

Au bout d’un pinceau fin, aquarelles bleues et roses, effet de flou, silhouettes fines, noires, comme des ombres allongées, semblant seulement observer, les unes à côtés des autres, ensemble, dans un même paysage, presque par hasard, d’une même famille, d’une même constitution, faites par un même artiste, assis sur un tabouret en tissu, depuis vingt ans, par tous les temps, ne faisant que deviner la foule plus ou moins dispersée qui circule derrière lui, s’arrêtant, photographiant, plongeant le regard le long des tracés courbes, s’étonnant en silence de la beauté des couleurs, du grain du papier, parcourant les autres toiles achevées, aimant l’une, puis l’autre, préférant tel format et, devant le prix, à cause de la pluie, se détournant presque honteuse de n'en pouvoir emporter qu’un souvenir imprécis.

Sunday, September 11, 2016

Christophe Manon

NOS CORPS sont devenus
syntaxe il nous faut déchiffrer la physique
des rêves notre conscience est-elle autre chose
qu'une banderole de brume et de silence pendant
les grandes poussées de gel un portrait de sang sur la neige qui
fond à la lumière
du jour ne sommes-nous pas
éleveurs de poussière gardiens d'une parole fidèle contagieuse et
qui prolifère n'avons-nous pas
vive et tenace la passion du réel imprenable
est notre forteresse longtemps
nous avons lutté longtemps
nous sommes restés debout guettant
dans le mugissement de la masse poreuse du temps le bruit
qu'il fait et comme il se déchaîne comme il
déploie sa science.

Thursday, September 8, 2016

Le premier immense effort vers la fin



Le premier immense effort vers la fin, où tout se réalise, avant le jugement implacable du dogme, du code, ce qui empêche de créer, parce que la beauté ne pourrait se dire, simplement, regardant le dernier quartier de lune, seul, haut dans le ciel, en plein jour, confondant l’idée reçue qu’il y aurait un astre pour chaque côté de la terre quand il n’y a qu’une puissance vive et une puissance réactive, lien entre l’omniscience et la permanence, où la rupture n’est plus possible, fondant, enchaînant tous les éléments à un seul système devenu proposition comme une autre, un choix, l’expression de la nature de l’être, paisible, continu, ne faisant qu’évoluer dans la lenteur pour donner un sens à l’action, une singularité, produire de la volonté et se faire conquérant d’un propre savoir, d’un amour retrouvé dans les sueurs de l’été à ne plus rien faire qu’attendre que le temps du présent se nourrisse de toutes les sensations inscrites en profondeur dans la vie.

Sunday, September 4, 2016

De l’air pur emmagasiné



De l’air pur emmagasiné pour un nouveau cycle, dans la lenteur de la transformation, non plus mutation ni métamorphose, quelques traits seulement, un visage, la longueur de la chevelure, l’âge d’une première ride, regard tourné de l’autre côté, comme endeuillé, portant tout ce qui ne se dira plus, plaisir rare de l’intime silence où la volonté d’être s’inscrit, supérieure, rendue inaccessible, assumant qu’il est temps d’être sévère avec la croyance infondée, malgré le temps qu’il reste à la rendre active, selon un cumul de hasards, une série d’heures communes, qui pourraient se confondre avec un besoin de partage alors que des intentions diamétralement opposées se sont juste rencontrées dans un lieu où pour l’un il s’agissait de fuir la solitude, pour l’autre, l’habiter protégé par l’activité constante de l’écriture de soi.

Thursday, July 28, 2016

Hélène Bessette

Ecrire.
Avec des phrases de papier de soie léger 
découpé.
Avec des volutes de fumée.
Avec l'écume des vagues aux crêtes déroulées.
Tête baissée. Enfoncer le mur de papier de la vie ordinaire.
Le mur fragile construit volontairement. De l'exiguïté.
L'apparence bête de la vie admise.
Aveugle au petit réel.
En partance pour le grand Réel.
Déchirer le faux.
Pour surprendre le vrai.
Assassiner le factice.
Guetter la naissance du vrai.
D'heure en heure. D'instant en instant.
Le grand. Le dernier voyage.
Le voyage désespéré. La quête d'un Océan à l'autre.
D'un continent à l'autre.
A la quête dans les rues du Monde.

Monday, July 25, 2016

L’impossibilité d’un tout face à l’extase d’un désir de soi et à la surpuissance d’une forme d’inexistence de l’existant

Après des années de « Demain / La mer / Soleil couchant / Rêve éclairant », il passait à une autre forme de fiction de lui-même, écrite au passé, à la fois pour satisfaire son plaisir d’écrire dans le style de ce qu’il avait adoré lire mais aussi parce qu’il lui semblait avoir compris qu’une des conclusions essentielles de tout l’enseignement qu’il avait reçu était de ne pas se laisser faire par les tendances que les historiens souhaitaient comme seules influentes dans la définition d’un patrimoine littéraire et de ne plus s’étonner si son mode d’expression semblait totalement décalé par rapport à tout ce qui était classé à ce moment-là sur les étagères du rayon « littérature contemporaine ». 

Il n’avait plus tellement envie de tout dire et son contraire dans une seule et même phrase, de retourner le mot, de brusquer la syntaxe, de projeter sur des murs, d'écrire sur des corps, de faire semblant de s’extasier lorsqu’une phrase avait atteint un tel degré d’incompréhension qu’elle devenait un marqueur social de dérégulation d’un système d’aventures censées à la fois nourrir l’être et son imagination. Il n’avait plus envie, non plus, de laisser croire les analystes qu’ils avaient raison lorsqu’ils avançaient qu’une affirmation portait en elle-même l’inversion du miroir déformant de la réalité. « Enter Ghost / Exit Ghost » lui semblait plus facile à comprendre que « l’impossibilité d’un tout face à l’extase d’un désir de soi et à la surpuissance d’une forme d’inexistence de l’existant, nous conduisant à penser que tout ce que le lecteur vient de lire n’est qu’une longue et pénible supercherie dont la vocation est, sans doute, de provoquer la crise ou, au minimum (mais y a-t-il un minimum évaluable lorsque l’espace reste infiniment ouvert à tous les possibles ?), le doute du sujet ».

Des doutes, il n’en avait plus et s’il allait se laisser conduire dans une série d’imperfections afin d'aboutir à la réalisation de son nouveau roman, alors, il continuerait à s’écrire dans le passé afin d’être sûr qu’en se levant le matin il aurait une longueur d’avance sur lui-même pour se propulser dans l’avenir, voyant en lisant ce qu’il avait longuement reformulé la veille, ce qu’il était déjà devenu, mort, imprimé, presque oublié, et trouver en ouvrant sa porte un véritable présent narratif purgé des angoisses d’un avenir incertain.

Thursday, July 21, 2016

Fuir la beauté d'un paysage désolé

Il avait cependant la douloureuse impression de n'être plus que l’un de ces personnages qu’il avait tant aimés en lisant des romans réalistes, ceux qui l’avaient aidé à mieux appréhender l’histoire que son propre peuple avait traversée, tant de guerres et tant de haine, convaincu que ce genre était né en partie pour cet objectif-là, venant s’ajouter aux horreurs qu’on lui avait racontées à l’école sous la forme de fiches à apprendre par cœur, de tableaux d’innombrables tortures et parfois même des reportages affreux d’une forme de décadence de la nature humaine.

Ces faits avaient beau porter en eux l’histoire réelle, il avait jusqu’ici réussi, — parce que toutes ces périodes n'avaient jamais été évoquées ni par ses parents, ni par aucun de ses grands-parents qui, même s’ils étaient partis tragiquement trop tôt, n’avaient pas été directement concernés, soit qu’ils étaient ailleurs, soit qu’ils étaient de simples prisonniers de guerre presque protégés par leur statut dans quelque prison provinciale —, à laisser ces événements dans une zone nébuleuse de la fiction romanesque.

C’étaient autant d’histoires racontées, mais elles restaient toujours liées à un auteur, un titre, des personnages qu’au mieux on pouvait transposer sur une scène, au théâtre, à l’opéra, ou sur un écran. Tout n’était pour lui devenu que des sortes d’objets d’art qu’on continuait d’admirer avant tout pour toute l’émotion tragique qu’ils véhiculaient.

La vie, la vie de tous les jours, il la voyait défiler et l’analysait avec tout le bagage intellectuel qu’on lui avait transmis, — c’est-à-dire, avec ses propres moyens—, tâchant de se faire une opinion saine de l’actualité afin de pouvoir formuler un avis, non seulement lorsqu’il lui arrivait de participer à ces quelques débats qui faisaient en quelque sorte partie du jeu socialisant des conversations de soirées, mais aussi pour lui-même, pour se rassurer d’être un bon citoyen qui adhèrerait à un mouvement politique en conscience, se verrait même prêt à militer pour défendre les valeurs auxquelles il tenait ardemment, et voterait avec la ferme conviction de faire pencher la balance du côté d’un mieux-être social, chose à laquelle il se refusait de ne plus croire quand il entendait partout autour de lui, dans les médias, mais aussi dans les groupes auxquels il appartenait, que voter, militer, ne servait plus à rien et que les politiques, comme s’il s’était agi d’une race de femmes et d’hommes à part, étaient tous les mêmes, des crapules n’ayant qu’un seul objectif : s’enrichir. 

Il voyait cependant passer peu à peu toutes les composantes d’un excellent roman policier, commençant à craindre autant en rêve que dans la vie réelle, que la menace se fasse de plus en plus concrète et qu’il faille bel et bien faire partie d’un de ces mouvements de révolte dont on écrirait plus tard l’histoire lorsque les peuples, libérés, avec, parmi eux, des archéologues de la pensée avides de reconstituer ce qu’on leur avait refusé d’approcher pendant de longues années, pourraient enfin découvrir et dévoiler les mystères des heures les plus sombres de leur plus proche passé.

Il le constatait amèrement : le pays dans lequel il vivait était bien en phase de fascisation. 

Il avait pourtant réussi à le formuler dans tous les combats qu’il avait menés, évoquant avec inquiétude un mouvement qu’il avait désigné comme une forme de féodalisation du système, sentant que l’action globale était en train de fissurer le corps social en créant des fossés où se jetaient sans protection tous les misérables qui n’avaient déjà plus accès au château des richesses et n’avaient plus aucun moyen de comprendre les codes d’une administration qui s’était construite dans le but de les exclure définitivement de leurs problématiques internes, acceptant qu’un faible pourcentage de la population (les statistiques étaient fort à la mode) pouvait être sacrifié si une partie, leur partie, profitait mieux, vivait plus longtemps, bref, était vouée à enrichir les gènes d’une race plus conquérante, volet tristement méritant des nouveaux warriors de la planète, bientôt chevaliers de l’espace tout entier.

La génération Star Wars, qui avait vu un Empire monter en puissance grâce à la manipulation des peurs citoyennes, était en train de voter dans les deux assemblées, réunies sous l’égide d’un état d’urgence constamment renouvelé, des lois liberticides rédigées uniquement dans le but de garantir aux puissants un règne plus pérenne et, semblant dévoyer sans scrupule le rôle protecteur qu’un peuple naïvement éduqué dans la croyance d’une révolution aboutie leur avait délégué, tous allaient, main dans la main, à coup de matraques parlementaires, anéantir en une même semaine le code du travail et le code pénal. 

Le calendrier était bien choisi. La plupart des citoyens étaient en vacances. Les chaleurs de l’été invitaient chacun à préférer passer du temps sur les terrasses, sur les plages, avec un bon bouquin, plutôt que de se renseigner en lisant leurs journaux quotidiens, car les bonnes promesses lancées pour satisfaire l’intarissable soif des chaînes d’information continue n’avaient été qu’un leurre : l’Europe, malgré l’opposition du peuple et celle faussement affichée du premier ministre en exercice, allait signer des accords commerciaux outre atlantiques et tout, dans la loi nationale, avait donc été préparé pour recevoir l’hégémonie américaine qui, avant d’être une hégémonie de territoire, ce qui était loin d’être négligeable, représentait l’hégémonie d’une pensée entièrement fondée sur l’exercice et les soi-disant bénéfices d’un aspect purement économique.

Il assistait en direct à la mise en forme d’une dictature de l’Esprit et savait qu’à présent il ne pourrait plus être qu'une sorte d’auteur virtuel, agissant dans l’ombre, à l’abri des médias, avec la conviction que ce serait le seul moyen d’encore participer à l’écriture du réel, au minimum, et c’est pourquoi s’attachait à son âme un air si désolé, pour laisser une trace et dater à partir de quand il ne fut plus possible, au XXIème siècle, d’assurer le maintien d’un projet progressiste garantissant la paix sociale aux générations à venir, mais aussi, afin de les prévenir, au gré des hasards d’une recherche passive plus attirée par la vision d’un grand coucher de soleil que par l’apparition d’un texte littéraire, qu’avec tant de coïncidences, il était peut-être temps de s’alarmer. Au pire, de se préparer à fuir.