Wednesday, March 18, 2020

Chroniques de l'invisible - 073

Le jeu d’où l’on ne repart jamais de zéro, l’écriture, on nettoie l’atmosphère, on teste celles et ceux qui sont capables de comprendre ce que c’est d’attendre seulement, lorsqu’il n’y a rien à faire d’autre, et la même pensée qu’hier semble-t-il agissante, que nous ne serions pas à nous supposer supérieurs. Ainsi, j’en ai rêvé, être dans la durée sans aucune obligation. J’ai beau penser « personne ne me l’a offert », « j’ai bien organisé cela », et j’ai beau aussi tenter de me souvenir, « sans l’avoir pressenti », à moins que ce soit cela, pressentir, dès le début de la vie, pressentir, et sur les bancs de l’école au contact de ma génération, dans ma catégorie, puis la quittant, puis à nouveau pressentir en organisant autour de moi les éléments de la stabilité pour ne plus avoir à faire face à l’urgence, ne pas avoir à gérer l’impasse dans laquelle tant que je connais se retrouvent et qui se manifeste encore d’une manière ou d’une autre. Cette douce résignation m’appelant. Je verrai bien. Au jour le jour. Dans un premier temps, alors que l’on voit les failles du néolibéralisme devenir des gouffres, ce qui s’interroge comme un amont chronologiquement forcé d’être déplacé est la notion d’autorisation. Bien sûr que cela devrait être pensé au début de la vie réflexive. Quand cela n’a pas été fait à cause des pièges du tout tout de suite et des vies de héros virtuelles, la sidération est encore plus forte. Elle l’est, me concernant. J’avais cessé de juger depuis longtemps, ce qui n’empêche pas d’être rigoureux et de constater qu’en effet (je suis dedans), il y a des mouvements de masse. Le constater est aussi de l’ordre de la sidération. Je pourrais dire qu’il se passe moins d’événements en ce moment, et pourtant, d’un état à l’autre, quelque chose bouleverse. C’est la clé de cette écriture de n’être bientôt plus orientée. L’énigme qu’un domaine tout entier regarde. Faire que cela arrive un jour. C’est là. Comme vivant à chaque instant le « juste avant ». Il s’est tant passé que je ne sais comment conduire les phrases en parfait vis-à-vis. La marque de fabrique qui ne se refait pas. Il est vrai qu’à chaque instant je pourrais me fondre dans la masse mais l’écrivain en moi refuse. Ce n’est pas un double. C’est une communauté. Tous arrivent pour me dire, mais il manque un bout. Me dire quoi faire serait plus simple. Ce n’est pas ce qui arrive. On me dit. C’est tout. Ça me parle. J’écoute les mots, les significations. Je suis au bord. Je sais qu’il suffit de si peu. Vers le devenir, ce commun à l’œuvre. Peut-être y verrai-je une ponctuation différente, car cela doit changer, cela ne peut rester en l’état, ne faire que réparer les blessures ou enterrer les morts, car ils sont morts, ils ne sont qu’un nombre croissant sur l’écran de la virtualité, on les compte et c’est tout. Je l’entends s’effondrer, l’héroïsme, ou la foi, ou ce que c’est, peu importe, on ne sait, un mouvement de la sensibilité de l’être lorsqu’il a pu s’exprimer, si puissant que lui aussi résiste à tout. Je cherche ce que cela peut bien vouloir m’apporter de nouveau que cela soit là. Comme l’univers entier. En faire une catégorie serait stérile mais c’est sous mes yeux en ce moment que cela se confirme, comme mon goût pour le destin, si tout se transformait tout à coup, que je ne sois plus jamais là ou que je me mette à créer en direct ce que je ne suis pas. C’est à cette frontière de la transformation que je suis. À deux doigts de vouloir, n’arrivant pas encore à lutter contre ce qui se place devant moi comme une évidence. Il faut quitter. Je sais qu’il faut quitter. Les désastres de la désolation. Le vivre continu pour le conflit intérieur. Je sais qu’à chaque fois cela fait du bien, mais c’est la même lutte, plus conséquente à chaque étape. Ce n’est pas de la douleur, mais les premières n’étaient pas plus difficiles. Il faut encore s’en tenir aux illusions que je vois s’évaporer. Ainsi, tout était faux.

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