Saturday, March 14, 2020

Chroniques de l'invisible - 069

Et pourtant, ce sera aussi cette épreuve. Là, qu’il faudra passer, car il en fait partie, de ces personnes qui fuient ou qui « rentrent ». Retour au foyer d’origine. Seule la littérature dira ce que nous avons été durant ces longues semaines. Ce n’était pas prévu. Comme l’attentat. Les regards baissés devant le potentiel danger. Pour le moment, ce n’est pas encore très concret. La mobilisation générale fait naturellement prendre conscience que quelque chose d’exceptionnel est en train d’avoir lieu. Le langage, comme émanation de l’esprit, même toutes les impressions. Je dois passer l’étape du traumatisme agissant ou prêt à refaire surface où que j’en sois des deuils élaborés après tant d’années de revirements. Puis, c’est l’étape, liée, de l’agression. Je dois me rappeler minute après minute que ce n’est pas contre moi que cela s’oriente. Je ne suis plus la cible depuis longtemps. Alors, les mots, les plus stupides encore, ceux qui préfèreraient être directement concernés (qu’on parle d’eux enfin) et ceux qui s’impliquent automatiquement, systématiquement. Le moi moi moi en explosion printanière. Me voici sur le seuil d’une nouvelle épreuve. Retrouver comment tout se relit, comment tout revient encore à dire ce qu’il en est maintenant de tout ce qui a lieu, de ce retour au commun de l’écriture, puisque c’est cela qui se prépare, un grand retour, imposé par la vie quotidienne, à la place des mots, lorsque rien de tout cela ne pouvait se prédire, étrangement, ce ne sont pas des questions, ni des doutes. Un jour, c’est ainsi, un événement a lieu. Tout se bouleverse. Il sera facile de faire des liens avec la réalité. Tout est daté. Je n’ai pas dérogé. Les détails sont estompés. Ou ne restent qu’en pensée. Car ils nécessitent de vivre autrement. Les rappeler dans l’actuel serait une erreur esthétique et je ne pourrais pas entendre les orages du vivant de l’être. Alors, donc, à nouveau, plus de questions. Comme je l’aime dans la continuité. Peut-être ne voulais-je pas que cela finisse ainsi. Et pourtant, il le faut. Je ne dois pas vivre cela comme un échec. Je reprends le dialogue intérieur. Il est là devant moi, celui qui m’a sauvé. Je l’ai nommé tant de fois. Il se reconnaîtra. Nous en sommes à renouer l’essentiel. Avant le mot que je retiens. C’est toujours la même émotion. L’aventure au risque d’avoir à y passer plusieurs années, pour comprendre pourquoi, une fois inversées, les lois de la fiction s’entendent pour générer dans un autre domaine. Je pourrais placer là un résumé même si je suis convaincu qu’il ne servirait pas à traduire cet ajout à la pensée, au-devant de l’œuvre, lorsque la tête arrachée tombe, qu’il n’y a plus rien qui la soutient. Je donne toute son importance à tout ce qui a été cru ou rêvé. Je l’ai dit. Nous avons cela dans nos gênes. Nous sommes ainsi constitués et je suis de ce qui résiste. Sans rien savoir de cette histoire, elle revient, elle remonte. Je me suis reconnu dans quelques phrases. Le désir conquérant, sans doute, puis le besoin d’identification. C’est si fort que je ne peux pas le négliger. C’est le seul moyen d’agir. Je n’en connais pas d’autre. Et on aura beau me tenter pour des formes contraires, c’est dans le paradoxe que je trouve. J’ai besoin de le faire aller jusqu’au bout.

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