Je suis heureux de cette étrangeté, de ne plus avoir à tourner en rond avant de trouver le mot juste, le moyen d’être un peu singulier tout de même ou me disant que tout cela ici ne peut pas être anodin, qu’à aucun moment je puisse être déçu. Cette légèreté que je ne savais pas à l’œuvre ou déclenchable si facilement a été subitement libérée ou libérée peut-être il y a longtemps mais c’est maintenant que j’éprouve cet enchantement. Si j’avais prédit ce qui arrive toujours je n’aurais inventé qu’un lien exacerbé avec ce qui m’enracinait. Pré-dire, donc, n’est pas comme préparer ou annoncer l’avenir. Je ne vais d’ailleurs jamais rien prédire. Plus jamais rien prédire. J’aime lorsque je prends ce ton conclusif. On rira de lire les paradoxes et les contradictions, les jours d’intense bonheur et les jours de grandes peines. Il faudra juste bien se rendre compte que ce n’est pas forcément parce qu’il n’y a que deux phrases que l’auteur était resté virtuellement pendu au lustre du salon interrogeant les philosophes de l’antiquité sur sa situation personnelle. Le contraire serait de concevoir que c’est justement lorsque les pages défilaient qu’il tentait de faire passer l’angoisse existentielle, soit en insérant un peu d’humour dans cette vie de chien, soit en plaquant des théories à deux balles sur une quelconque évolution de l’être alors que globalement on pouvait résumer cela ainsi : il se lève, il se couche. Maintenant, observons ce que l’état de l’être a laissé sur la table du salon avant de plonger dans l’inconscience. Consolation, métamorphose, deuil. Voilà. Vous avez dix ans pour formuler une interprétation. Dehors, des formes lumineuses de différentes intensités non pas selon l’heure mais selon la prédisposition intellectuelle et émotionnelle à les recevoir. Décidément, ça n’en finit pas. Sur toutes les voies, c’est la désolation. Le vivant tel qu’il est, terriblement bouleversé avec, en ligne de mire, la mort. On ne sait plus comment l’évoquer. C’était facile avant, on n’en parlait pas trop, ou quelques cas isolés, soit le truc invraisemblable mais qui pourrait nous arriver à tous (le car dans le ravin), soit la personne célèbre. Deux trois qui se succèdent et on pense hécatombe alors que la pulsation de la vie tout autour de la terre, c’est le rythme effréné de naissances-morts. Les arbres, eux, vont plus lentement. Je ne parle même pas de Pluton dont chaque année fait à peu près deux cent cinquante des nôtres. Alors, on en serait toujours à devoir relativiser nous concernant directement. Petite méditation sans tuto : ça va pas si mal. On va continuer à ne pas s’occuper de tous les malheurs du monde. Je n’ai aucun doute que toute société s’organise selon ses nécessités et si certaines ont besoin d’une dictature de temps en temps pour se faire botter les fesses, tout se mettra en place. Il n’y a rien d’autre que cette nature qui s’exprime et j’occupe une place dans tout cela avec exigence et fierté, heureux de participer à l’apprentissage d’un mieux-être dans cet atmosphère pollué de haine. Tout cela a commencé lorsque j’ai conçu (c’était l’œuvre d’une réflexion) que je ne pourrais pas remplacer les fonctions tyrannisantes, seulement les contrer là où elles ne peuvent plus agir, occupant de fait entièrement une fonction qui, elle, bien sûr, évolue avec mon expérience du terrain et ma propre connaissance des besoins sociétaux. Le plus étrange, c’est que je ne me rends pas compte ni du temps qui passe ni du fait que certaines de mes phrases sont absolument inaccessibles à la compréhension d’un autre. Je n’ai pas envie d’y travailler outre mesure. Oui, il y a ce mystère dans la langue qui est comme sa vie propre. J’y suis acteur et spectateur, acteur passif parfois et spectateur actif parfois. Les quelques secondes qui précèdent le dépôt d’un mot ou le déroulé d’une phrase, je l’admire comme un lever de soleil. Avec un ciel dégagé en ce moment, le ciel extérieur parfois, le ciel intérieur, en continu. C’était le jour des rapidités. Une vérification. D’autres domaines prennent et prendront plus de temps. Et il n’y a pas de vision à court terme pour certains. Il n’y en aura jamais. Certains domaines, donc, l’imposent. Je dois faire un effort considérable pour y déceler les signes. Pourtant, je le vois. C’est là sous mes yeux.
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