Sunday, April 5, 2020

Fragment de jours - 15

Le réel venu tout bouleverser, ne lâchant pas sa proie. Tout accélère et ramène au même point. De simples questions posées. Une prise de risque maximale. Je refuse encore. Ce n’est pas la bonne décision. Et les figures vacillent. Elles hurlent dans la tête. Elles voudraient prendre place, être au centre, se contenter de détruire, oui, tout dévaster. Cela n’a aucune importance depuis que les conquêtes se multiplient. Aucun conseil à aucun moment. Démerde-toi avec ces paradoxales entités, ces journées entières. Je ne me laisserai pas prendre au piège. Je mentirai sur tout. L’espace que j’occupe n’aura aucune pollution. Dès demain. Application stricte. Je ne suis pas surpris qu’à deux doigts d’aboutir, les forces adverses se déchaînent. À ce stade, l’intrigue propulse l’inquiétude. Le héros ne sera peut-être pas sauvé. Plus de suite possible. On a tout oublié. Les membres tremblent. Alors, je reprends en main les rênes. J’ai en moi ce que je n’ai révélé à personne. La même stratégie à laquelle se sont ajoutées des années d’expérience durant lesquelles je n’ai cédé sur aucun compromis. Maintenant, j’entends lorsque la voix se dérègle, en quelque sorte plus nasale, pour tout le temps que je passe à l’observer, je recompose à partir de cet opportunisme. La méthode n’est pas là pour m’enseigner et j’ai peu de considération pour toutes ces soi-disant occasions manquées. L’idée m’était venue pour justement me détourner de cette tentation. Il n’y avait que cette option pour, selon moi, assurer aux autres modes de communication une visibilité presque parfaite. Le tout était de se placer, entièrement, à la minute présente, sans haine, sans perspective particulière, ce qui avait donc commencé alors, sans détermination. C’était l’option de l’immédiat qui m’avait révélé. De cela, je ne pourrais jamais parlé à cause de l’impossible à dire quand une nuit je me sens seulement et simplement porté. Je ne sais si je m’attendais réellement à cette déception. Encore une histoire qui a mal tourné. Drôle de compte à rebours qui s’enclenche. Et cette violence sur le corps. C’est la nuit. Ça fait mal. Le truc qu’on écrase. C’est vivant. Ça plaît parce que c’est vivant. Un truc inerte aurait été mortellement ennuyeux. Je vois tout cela beaucoup mieux. Je le comprends beaucoup mieux. Conter en dehors de cela. Rien. Subitement rien. Les relations sont toutes gouvernées. Je serais impoli de ne pas les prendre en considération au même niveau. C’est pourtant ce que je vais faire. Quand on ne sait plus à quelles branches il est possible de se raccrocher. Tout ce temps perdu. Je dois faire avec ces éléments de rupture. Du jamais lu. Aucun fait divers. Pas de justification. Et je n’ai rien ficelé. On me croyait ailleurs. Je n’avais pourtant fait qu’appliquer. Presque six mois de vie, réunis, les êtres disparus qui ne manquent plus. Je traite leur évocation lorsque le souvenir que j’en ai se manifeste. Voici enfin la nouvelle étape. Je l’ai commandée. Je l’ai provoquée. Le véritable gouffre. Plus de faux semblants. Je suis arrivé à un stade que j’avais envisagé. Il serait douloureux. Je tente d’y faire face avec toutes les polyphonies imaginables. La fiction s’y travaille quotidiennement. Ce n’est peut-être pas le bon jour. Un jour sans. La chose interdite. Dont je profite maintenant. Il y a eu trop d’années consacrées à l’ultime combat. Je n’en prendrais conscience qu’en ces lignes. Ce monde qui s’est doucement stabilisé. Je l’avais désiré. Je ne voulais plus espérer d’autre avenir que mon actualité se poursuivant. Ce serait donc ce jour où je me suis posé, lorsque je regarde quelques mois en amont, je retrouve tout, la cohérence de mon sujet, la beauté de mes personnages. Nous étions-nous pensés autrement ? Je ne crois pas. Dès le dernier point, je passerai à autre chose. Je me moque de tout, du niveau attendu, des remarques déplacées qui ne concernent pas ce que je suis en train de réaliser. Je sais qu’il n’y aura de cela aucune méthode et que le chemin sera long. D’où ce ton de prologue que j’adopte. Je n’en suis qu’au début. La plupart des sujets abordés devaient l’être pour nettoyer. Je devais me considérer dans un tout autre domaine. Pensées autour de moi dispersées de tous les inachevés. Cela ne résoudra rien de se presser, ni de bousculer les foules, ces masses sourdes dont je ne distingue plus que l’absolue nécessité d’être devant l’autre, ou au-dessus, prête à piétiner. C’est une question que je pourrais poser au début d’un chapitre. Où serai-je à la fin ? Comme je pourrais me poser la question a posteriori. Où étais-je ? C’est presque une constance. Un retour au réel. Une nécessité de l’être qui s’est échappé. Qui a besoin de revenir. C’était un long voyage. Oui, durant tout ce temps je n’ai pensé à rien d’autre. Au cœur des conversations, il n’y avait que cela. J’acceptais de m’en détourner en façade. De feindre que je pouvais m’occuper d’autre chose. Mais au fond, c’était uniquement cela. Me retrouver un jour, peut-être sur mon lit, comme personne ne peut l’imaginer. La journée avait été longuement pluvieuse. J’avais adoré ne presque rien en faire, continuer à penser. Les bruits alentour ne me perturbaient pas. Puis, il y avait tout le reste. Cette part de la vie qui ne se partageait pas, d’entrer en découverte de soi-même pour n’avoir pas à tout dire, à cause des si nombreuses incohérences que j’observais. Il fallait en quelque sorte mieux mesurer et surtout ne pas se laisser emporter par la somme des désillusions, avec ce besoin constant de faire porter par les autres nos précieuses responsabilités. Toutes ces heures sauvées, désormais retranscrites. Et je me demande : « combien de jours », pour ces fragments, pour ce quotidien si différent de ce qu’il a été, lorsque je doutais encore, qu’il fallait que je m’acharne à devoir tout prévenir, au point de m’endetter envers tous, de me montrer à chaque étage, de ne plus faire que transmettre. Pendant ce temps-là, je m’abîmais, mes loisirs s’estropiaient, je ne faisais plus que dormir. Alors qu’il suffisait de se mettre avec le monde, comme il fonctionne, avec ceux qui ont besoin soit de fuir soit de combler. J’en étais, donc. Je fuyais ce qui m’enracinait à n’être que ce que je suis. Je comblais les effets négatifs dus aux multiples addictions. Puis, je voyais ces mots, dans l’après, survivre, comment survivre, moi, tellement aspiré vers ce que j’aurais pu devenir si je n’avais pas, un jour, décidé que je ne dépendrais pas de tout cela, à un très jeune âge certainement, mais c’est si difficile que la conscience le rappelle à toutes les étapes de la vie. Il faut alors se forcer à ne pas sombrer dans les méandres des allégeances. Il suffit d’un rendez-vous qui se répète, et c’est l’enchaînement. Plus rien d’autre. Chaque instant. L’entourage nous associe. Il est là. Dans cette case. Rassurant. Il n’en bougera plus. À moins que je résiste encore. Peut-être un jour, je serai arrivé. Mais ce n’est pas encore le bon lieu. Je le sais. Cela ne suffit pas. J’ai besoin de plus. J’aurais tant aimé commencer plus tôt encore, pour savoir ce qui s’était passé, mais il y avait trop de bruit, je ne supportais pas. Et on ne m’avait rien dit. Je ne pouvais pas savoir, que c’était ainsi qu’on progressait, pour ne pas oublier, pour aider la sensibilité à se construire à travers les événements quotidiens. Je le vois mieux maintenant, ce « fragment de jours », dans le calme réinstallé, il a fallu œuvrer, ranger, classer, jeter, puis lire à nouveau, replonger pour décider, s’aider, la veille d’un grand départ, je le savais, je n’aurais pas le temps, je ne pourrais pas tout emporter, il faudrait laisser, je ne comprendrais pas tout, puis il faudrait se laisser aller, ne plus rien modifier, de la trame, de l’intrigue, du mystère. Pour ce qui serait dit, il était temps. Pour ce qui ne se dira pas, il y aura les suivants. Chaque sujet. Chaque thème. Des lettres comme des territoires desquels il ne sert à rien de sortir si ce n’est pour apprendre d’autres langages. Je me suis longuement penché sur ce paradoxe. Tout ce qui nous est commun. Tout ce qui nous sépare. Et tout ce qui se disperse de nous autour de nous. Ce que nous recevons. Je m’étais dit : « Il suffira de ne pas finir ». Qui saura ? Je n’aurais peut-être fait que suspendre, étager, puisque tout se construisait autour, aussi. Il fallait faire avec. J’ai hâte de tout développer. Ce sera ce que j’avais espéré et j’y trouverai les pièges de la pensée, lorsqu’elle ne veut pas céder, qu’elle conduit à inventer d’heureuses légendes dont nous serions les héros. Ce jour, s’achevant. Le dernier. Sans nostalgie. Et sans surprise. La nuit. Le milieu de la nuit. Le besoin d’air frais. Je redeviens l’anonyme. Je tente d’établir ce qui pourrait se faire à partir de cela, mais c’est trop tôt. Je n’en sais rien. Peut-être rien. À part pour moi, une source que je suis seul à avoir trouvée. Quand on croirait qu’il n’y a que quelques secondes, d’une phrase à l’autre, alors qu’il y a parfois de longs mois, tout un passé à découvrir.

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