Tuesday, April 28, 2020

Chroniques de l'invisible - 114

Quel trouble encore hier. Il fallait traverser un niveau pour atteindre le sommet. Voilà qui est fait. Même là, c’est un combat, un combat de paroles. Je refuse d’être emporté dans leur fonctionnement. Je refuse d’entrer dans la sphère de ceux qui dénoncent, de ceux qui désignent les coupables. Je dois signifier la responsabilité de celui qui a accepté de la porter, désignant et dénonçant toute la structure, tout le mode de fonctionnement. C’est fait. La responsable s’énerve. La structure est au bord d’imploser. Je lui dis ce qui lui reste à faire : fais ton travail. Chacun son rôle. J’ai été appelé à réaliser cela. C’est fait. Je n’ai que faire des conséquences à présent. Je vais pouvoir « passer à autre chose », dans mes mots, dans ma langue, dans ce que je reconnaîtrai de ce que j’étais et de ce que je suis devenu. Au fond, c’était de toujours avoir à franchir, en moi, pour être et rejoindre mon domaine. Cela ne me concerne plus, désormais. Il n’y a aucun deuil, cette fois. Les répliques de la violence dans le corps. Et l’immense fatigue pour avoir déployé une telle énergie. Je me souviens des heures passées, à relire. Pour que le filtre de la fiction fasse effet, nettoie, purifie. Toujours, se protéger de toute menace. On pourra tout me dire. C’est un roman. Le même outil pour renverser. Je contrôle mieux l’émotion qui en découle même si elle est évidemment présente. La contrôler, c’est en faire l’engrais pour continuer. Je pourrais commencer par ce que je ne sais pas. Je ne sais pas. Qui est là ce jour-là. Qui s’occupe de l’enfant. Oui, j’ai les bras croisés, par la fatigue et la consternation. « J’ai mon gardien ». Elle tente de rire de la situation. C’est un échec. Je ne ris pas. L’enfant a subi des violences. Je ne sais pas. Qui les a administrées. Alors je cherche. Je reconstitue la scène. Je tente. Impossible. Tout est au présent. Dans l’odeur des feuilles, dans l’odeur des arbres. Les mots en tête, intarissables. Une nouvelle pensée. Ce ne sont que des mots. Ils sont des titres auxquels je m’accroche, sentant la douleur circuler dans le corps, lentement, la même douleur, certainement, que l’enfant qui a subi des violences. Je vois l’homme blessé revenant de la forêt, se présentant à la fenêtre d’une cour de pierre. Il s’est battu. Il a résisté. Je ne sais pas. À qui il vient dire qu’il en est sorti vivant. La stratégie pour éviter d’affronter la réalité. Composée. Recommencer ailleurs, lancer des perches dans l’émotion, ne pas être confronté au silence de la nuit et à la fraicheur. Tout est si bon. Je reconnais ces nécessaires périodes d’attente, quelque part chez moi. Pour que les images se transposent, qu’elles trouvent le moyen de construire dans la nouvelle pensée. Ce n’est pas mystérieux. C’est réel. Je fais un choix rassemblant tout en un même lieu, puisque cela n’a pas empêché que d’autres rives se découvrent. L’angoisse de ne pas être au bon endroit, de faire semblant de faire pour éviter de faire, a disparu. J’écoute, de loin, la « maison-prison » s’effondrer. Je suis heureux de cela. C’est mon œuvre. J’aime penser que l’enfant m’entendra revenir par la parole des autres. Il assimilera tout ce qui change à la puissance de ce que je lui ai promis de faire par l’écriture. L’enquête commence. On pose des questions franches. L’enfant sait maintenant qu’il doit passer la peur de dire. Une fois passée, il n’aura plus peur, et ce sera dit. Cette fois, il le dira à la bonne personne au lieu de toujours contourner. Il verra la panique changer de camp. Il le saura aux regards, aux bruits dans les couloirs, aux conciliabules. Partout, je serai là. Il verra ce pouvoir en action. Il mettra le temps qu’il faut, mais il me retrouvera.

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