Friday, May 8, 2020

Chroniques de l'invisible - 124

Se préparer. S’y préparer. Le temps accélère. Il n’y a pas d’alternative. Aujourd’hui, c’est ainsi. Une seule voie, un seul chemin, une seule décision. Ce qui se lit ne s’entend plus. Crânes à la renverse. Je connais le signal. Appelé à ne pas me tromper. Ni d’interlocuteur, ni de format d’expression. Le combat commence. Retour à la case départ. Chacun dans sa classe sociale. Ce sera une longue traversée du désert avant de trouver les personnes qui n’auront pas été contaminées. Ne pas craindre que cela n’arrivera pas ou que cela n’est pas possible. La pulsation du vivant est à l’œuvre dans tous les domaines et si je le ressens, c’est que je ne suis pas seul. Je n’ai rien d’exceptionnel. Une conviction basée sur les différents facteurs qui me composent, conséquence d’une vision politique affirmée peu à peu par cette déconnexion absolue de l’aspect économique. Je suis dans la bonne catégorie, moi aussi, fier de pouvoir imposer ma manière de fonctionner. Si je suis là, c’est grâce à des actions puissantes qui ont créé à l’intérieur du corps social une partie non négligeable consciente que les idées ne se sont pas arrêtées. Je ne suis pas surpris que la réplique soit agressive. Tant que je suis protégé par mon statut, personne ne pourra ni m’obliger ni m’atteindre. Je suis confronté aux mêmes questions fondant notre ère, dans ce quartier, dans cette ville, dans ce pays. Le même vide lorsqu’il n’y a plus la raison d’un salaire à gagner, d’une valeur économique à notre fonction. L’émotion qui se dégage de tout cela, si proche du désespoir, devient ciment de l’écriture. Ce n’est pas nouveau. J’ai déjà ressenti cela. Tout à coup, plus rien des contacts humains grâce auxquels je pouvais presque chaque jour déverser mon angoisse, l’échanger avec une autre, brasser ainsi les domaines de l’indéchiffrable sans me poser une seule question. Tout à coup, plus rien, absolument, la retraite imposée pour une introspection encore plus douloureuse où je sens bien que la première étape à franchir est de vivre avec cette angoisse, apprendre à la prendre en considération pour le devenir. Je sens cela à présent, lorsque la porte s’ouvre et qu’en effet, il faut tout dire. Les mots sont venus sans que je m’y attende. À présent, chaque minute, quelqu’un d’autre que moi y pensera. Voilà une des énigmes de l’écriture. Le lien direct ou indirect des faits et des mots, de cette angoisse soudaine qui n’était pas née de rien — Oui, je le savais — découlait le meilleur moment de le dire, non à ce qui empêche de progresser, ni à ce qui met tout en échec, mais à ce qui, solidement enraciné dans le sol, aura le moyen, si ce n’est de tout sauver, de sauver ce qui est essentiel dans la vie.

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