C’est une heureuse surprise, en soi, d’entendre en pensée le parfait contrôle d’un autre territoire. Heureuse surprise aussi de tout mettre en fonction pour que cela soit reconnaissable et pour que je puisse en débattre. L’événement qui se répétera encore. C’étaient les dernières remarques avant de plonger. Ce qu’il faut réussir absolument à supporter. Au fond, c’est à partir de cela que la vie prend sens. Penser le contraire serait soit se tromper soit minimiser l’impact que peut avoir sur le quotidien la puissance de la récurrence. Jusqu’au battement d’un cœur, finalement. Il est vrai qu’une autre forme d’exigence est née il y a quelques années et qu’aujourd’hui je me moque bien de faire attention à ne pas heurter le sens esthétique commun. Si j’ai accepté ce voyage, ce n’est pas pour me retrouver dans la case de la conformité. Alors, c’est vrai, j’ose me comparer à d’autres formes, j’ose me dire que ce qui n’était pas possible à une certaine époque l’est maintenant que des pensées fortement ancrées continuent à faire cet exceptionnel travail et que cela fasse corps de cette manière. Pour le moment, il n’y en a pas d’autre. En dehors de cela, rien n’a vraiment d’importance au point que je suis près de penser, comme une constante traduction, que rien n’existe à part cela. Il faut que tombent les mots, peu importe. Le reste viendra dans cette nature-là et je n’ai aucun doute sur le fait qu’il n’y aura eu aucun retard, que d’autres étapes se préparent. J’entends déjà le discours, clairement. Cette limpidité n’est pas là pour me rassurer mais elle confirme qu’il n’y avait pas à douter, qu’en crise aigüe, le seul affranchissement contre la peur, c’est la conviction. La rigueur y prend largement sa place. N’avoir aujourd’hui peur de rien. Cela s’est résolu en termes efficaces pour lesquels je sais qui remercier et vers qui me retourner. Je dois chaque jour me réaffirmer : la puissance du langage lu et écrit n’a ni limite ni équivalent. La voix peut dire, naturellement. C’est une autre fonction tout aussi essentielle. La voix lue et écrite peut arriver à manquer. Dans la zone culturelle où nous agissons, elle est fondamentale, car elle est la voix de la loi, de tous les compromis de la pensée. Je ne vais pas me transplanter dans d’autres manières de vivre. Je suis dans un seul lieu de l’action, y suis bien et ne veux pas en sortir actuellement tant je suis convaincu que c’est là le bunker contre lequel personne ne peut rien faire. Se savoir libre et protégé – je dirais : si jeune – est un atout considérable. Rien d’autre que mes propres sensations n’a d’influence ici. J’ai beau tenter de m’en dégager, je n’y arrive pas. Je veux cela et le désir plus intensément d’autant plus que j’assiste au merveilleux développement de l’espace intérieur. D’autres voix s’y installent. Je ne les avais jamais entendues à ce point. Je savais leur existence. Désormais elles ont la place de s’exprimer. C’est donc une première fois chaque jour, incroyable beauté. Toutes les périodes où cela pourrait être comparé ne conviennent pas. Je devais toujours faire. Je ne tenais pas deux ou trois jours. Un devoir envers je ne sais quoi avec pourtant ce permanent désir d’une réelle disparition. Tout à coup, je ne dois pas, je ne dois rien. Il fallait juste décaler dans le temps, modifier les interactions, me plonger dans un monde sans modèle que je ne suis pas sans partager avec des idées si formées et si délimitées qu’elles sont sans aucun doute les personnages dont j’avais besoin pour conduire notre histoire commune. Les nommer serait arrêter définitivement leur caractère et empêcher que se développent les intrigues de la pensée. Je sais que c’est étrange. Sur ma table il n’y a plus rien d’autre que ce cahier, plus rien d’autre que ce qui s’écrit. Je ne désire rien qui viendrait interférer ce qui pourrait l’écriture de rien, rien d’autre qu’une répétition exprimant avec force mon désaccord, ce qu’une grande partie de la masse a souhaité, cette dépendance, plus que souhaité, construit jour après jour sur des monceaux de chair pour continuer à mettre dans des cases ceux qui peuvent. Je suis pour ma part du côté de ceux qui ne peuvent pas et peut-être suffisamment bien placé aujourd’hui pour faire entendre leurs voix qui hurlent partout dans le silence des discours apaisants, des centaines de milliers de corps qui nous achevons. Je ne suis pas de cette police-là. Alors, plutôt que de relater encore et encore les meurtres à tous les étages (oui, il y a trop de meurtres), je pourrais évoquer cette rencontre. Cela arrive. Cela ne s’explique pas. Les mots ne servent à rien. On sait. N’importe où dans le monde, en quelque sorte retrouvés. J’aimerais dire si c’est une femme ou un homme. Non. Je n’aimerais pas dire. Il faut taire cela. Qui ne regarde personne. Cela arrive, c’est tout. Personne n’est surpris.
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