Ce n’est pas que je n’ose me le dire. C’est autre chose. Comme si une fois de plus, le sentiment qu’il m’avait manqué quelque chose revenait entièrement. Je m’enregistrais lisant des romans puis m’écoutais la nuit me demandant : y a-t-il de la musique dans tout cela ? C’est à cause de tout ce qui me semble ne servir à rien. Je vois tout défiler et puis il n’y a plus que le temps qui m’intéresse. Mieux, la durée. Ainsi, je me détache de certaines préoccupations. Elles n’ont pas lieu d’être puisque je leur laisse tout loisir d’expression, jusqu’à parfois disparaître (mais pas tout le temps). Elles nourrissent et j’aime comme cela provoque en permanence une dynamique subtile qui n’a rien à voir avec ce qui s’écrit dans l’instant. Cela mobilise une forme de mémoire et je réalise après ces quelques semaines qu’un événement essentiel s’est produit, se produit, qu’il devient le corps même, s’avançant avec, autour, en face, des formes enrayées, elles sont folles, mobilisant toute leur énergie pour tout à coup être au centre de tout, comme si seules elles ne pouvaient exister. Ainsi, peut-être, sans conflit, se réalise à l’intérieur du texte une forme de coexistence. À ce stade, je ne fais qu’y résister, essentiellement pour y modérer les émotions à tendances dominatrices, comme la colère, la colère contre qui ? La colère conçue de toutes parts, on aime ça, on aime vivre inside, c’est une pulsion qui aide à ne pas voir qu’il n’y aurait rien d’autre, que dire le soir en rentrant ? À l’autre, y compris en reflet dans un miroir, même sans se voir, physiquement, ils sont tous là à continuer leur œuvre, à influencer, à conduire une partie, et j’en suis certainement, ailleurs, pour d’autres, j’espère, on ne sait jamais, ce qu’on provoque en l’autre, on le suppose, on le fabrique, on n’en voit que quelques effets, y compris donc, la colère, qu’on nous renvoie, qu’on disperse dans notre entourage, si forte qu’elle nous revient, et quand elle ne revient pas, alors, c’est qu’elle s’est dissipée, comme une petite vague, dans notre société. Je ne vois plus alors que l’invraisemblable, ce terrible face à face d’un seul qui absorbe toute la puissance de son œuvre, dans son monde, menacé. Je dois agir pour que cela ne m’atteigne pas directement, comme ces regards, oui, nous sommes en conflit, et je me souviens de ce long chemin auquel je ne m’attendais pas, un détournement, voici l’objectif et voici le chemin, si j’avais su, le même jour, qu’il faudrait faire tout cela, qu’il faudrait en passer par là, je ne l’aurais pas fait, de toute évidence, je ne l’aurais pas fait, mais il fallait, peut-être pour autre chose, une autre manière, pas réellement un autre objectif, l’objectif était bon, il est même toujours d’actualité, l’idée étant d’agir afin que tout cela ne fasse pas sujet en dehors du lieu qui lui est consacré, car ce pourrait être la forme si désirée du mystère qui serait alors bafouée, sacrifiée, et je m’y refuse désormais personnellement, quelles que soient les conséquences.
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