Tuesday, March 23, 2021

Chroniques de l'invisible - 443

Il est impressionnant toujours d’être à nouveau devant le paysage où tout a commencé, grande plongée dans cette forme alors que l’horizon m’avait semblé obstrué. C’était une solution parmi d’autres, ou bien la seule, la seule disponible ici avec ce corps abîmé, la seule sur ce chemin-là, loin d’un premier idéal, après ce long voyage, je me voyais n’avoir fait tout cela que pour presque mieux, presque seulement. Avec cette impression d’arriver sur une terre de cendres. Parfums hostiles. Arbres calcinés. Tout avait disparu. Le rythme de ma respiration commençait à s’emballer. Terrible silence. Et cela qui m’observait, mécanique, quand il n’était plus nécessaire de me demander à quoi je m’attendais. C’était pourtant simple à comprendre. Et puis, ce ne serait peut-être pas si différent, dans l’impression, si tout se reconnaissait, si tout se continuait. Bien sûr qu’il y a dans tout cela du commun, des visages incrustés dans les mots, sordides. La trappe s’ouvrant sur le réel. Ce n’est pas mort. Ce n’est pas triste. La musique assourdissante d’une guitare saturée. Je lui avais dit : comme une trompette déchirant le décor, fendant l’air, et dessous, ce ne sont rien que des tambours obligeant à garder le tempo. Il avait cru qu’on le laisserait tranquille. Qu’il serait maître de son invention. Pauvre égaré. Avec tout ce que nous sommes devenus. Et cette lutte, en interne, pour savoir qui serait là ce jour-là, prêt à l’accueillir, pour le soumettre, transfigurer après l’accord, on nettoiera, folie, quelques souvenirs autorisés, sinon ils nous claquent dans les doigts, on leur fait croire que c’est pour leur bien, balancés à vive allure, pas d’arrêt, les mots savamment bombardés, il se penche comme les autres. Cela comme il dit qu’il croit mécanique. Alors la lèvre supérieure se relève, les yeux injectés, menaçants. Vivants. Comme une bête sortant de terre. De toute façon, c’est trop tard. Le mouvement emportant tout sur son passage, de la boue, de la lave, puisque tout vient remplacer ce que je ne sais pas faire, ce qui a résisté en plein désir, puisqu’il est vrai qu’on s’en redresse, le motif sombre envahissant parce qu’il faut aller aussi loin pour se rendre compte maintenant que je sais, je n’étais pas venu pour rien, missionné, vous effectuerez des prélèvements, sur le vivant, pour aller contre la langue qui tue, qui minimise, qui réduit tout, vulgaire, nous serions codifiés, programmés. C’est oublier combien c’est plus complexe, ou plus fondamental, ces auras se rencontrant, se télescopant, s’orientant, se mobilisant. Cela reviendra par le brassage. Inutile de forcer. Ce n’est pas un métier. Pas d’horaire, pas de salaire. Pas ceux de l’ordinaire.

---