Friday, March 10, 2017

Aboutir serait alors conquérir

Aboutir serait alors conquérir, encore, la place subtilisée par ce qu’il est autorisé de croire. Les cohortes d’infidèles envahissent les forêts moyenâgeuses, les habitent avec ce qui leur est immédiatement disponible, se forment à la résistance, s’arment de la puissance du nombre, car le mouvement d’un récit renouvelé vient de s’y enraciner, une histoire qui dérange parce qu’elle vient de dire au monde, en langue vulgaire, que ci-gît la victime enterrée vivante et que là-trône le pervers narcissique, qu’il était une fois une communauté de spectres fantastiques surgissant des terres de l’oubli, hurlant à chaque coin de rue l’enfer qu’elle a subi à n’avoir qu’à se taire, brandissant la magie de l’anaphore et de la rime pour répéter l’action, agissant non plus pour punir, mais pour inscrire une manière de révolutionner le point de vue, comme regarder, trop tard, ce qu’il vient de se passer, comme lire la douleur exprimée, la souffrance des opprimés, pour s’y projeter, s’y sentir concerné, tous coupables d’être à ce point aveugles qu’on n’a pas encore trouvé le moyen de prévenir, qu’on ne possède pas encore le moyen de guérir, réparer, s’excuser, parce que les mots manquent, le sujet s’échappe, parce qu’on ne refera vivre la victime qu’en racontant la banalité d’un engrenage fatal, parce que vivre dans la culpabilité devient vite insupportable, alors, il n’y aurait qu’à descendre l’être soi-disant supérieur de son piédestal, l’être, en nous, soi-disant supérieur, le pervers qui nous hante parce qu’il a réussi à programmer notre désir, un pervers ancien, un pervers lointain, qui a institué le silence comme moyen de ravager nos âmes égarées dans l’immensité de l’impensable, la continuité du vivant sans les heurts d’un avant et d’un après datés pour n’être que des repères chronologiques d’un système que nous métamorphosons pourtant à l’échelle infinitésimale de nos actions quotidiennes, de nos existences éphémères, de nos désirs pulsés par l’instant, quand il faudrait ne pas les considérer, ne pas les écouter, se laisser subtiliser le pouvoir de décider alors que l’auteur n’a peut-être jamais eu autant de moyens de faire exister son œuvre.