Je n’ai jamais su dessiner. Alors, j’écris. Quand je coloriais, je débordais. J’avais peur. Alors j’écris. Au moins, la fleur est exactement là où il faut sur le papier. Je n’ai pas besoin d’y mettre un soleil pour signifier l’admirable couleur du ciel. Je peux faire le portrait d’un personnage sans qu’on le confonde avec une quelconque animal et le nommer comme je l’entends, lui offrir le plus beau des châteaux, mettre face à lui le plus beau des paysages. C’est exactement cela. Tout devient beau. Je m’étais imaginé un jour que je me mettrais à feuilleter tout cela comme on regarde une série d’esquisses, mais j’y ai vu un nouveau roman. J’ai vu, plutôt, comment de l’idée d’un roman j’étais parvenu à en concevoir plusieurs, comment les chemins s’étaient dévoilés tel que je l’avais rêvé, en écrivant. J’avais conçu, ou plutôt, retrouvé, ma « source inépuisable », elle avait comme longtemps dormi. Il avait suffi de s’y joindre. Tout s’était à nouveau mis en mouvement. Je ne saurai jamais pourquoi tout ce temps était nécessaire. Je ne m’autorisais pas, sans doute. Et maintenant, je sais qu’il n’y aura jamais rien de rigoureusement identique à ce qui est là. Ce sont les dernières pages. Je pense à celles que j’ai saccagées. Il fallait essayer. Il fallait commencer, s’égarer, se laisser emporter. Ah ça oui, je l’ai transporté, partout, puis je l’ai oublié sur une étagère, puis je l’ai repris, tant de fois. Je m’étais promis de le recommencer mais ce ne sera pas possible. J’ai fait des kilomètres à pied dans le froid avant de m’en rendre réellement compte.