Friday, December 30, 2016

Pierre Senges

La vérité est plus tordue — ça, on le sait, toujours, la vérité est plus tordue, plus tordue qu'elle-même : la vérité est ce qui sort du trou dans lequel s'est enfoui le ver de terre : un tourtillon de sable, ornement de l'absence.

Tuesday, December 20, 2016

Mémoire de l'irrésolu


Mémoire de l’irrésolu, de l’inachevé, au rythme du temps qui passe, dans la douceur d’un air frais, une manière d’être comme une autre, attaché à tous les signes qui parviennent, dans la lucarne, des visages qui passent, effrayants, que seule l’enfance voit, comme un flash, observant ce qui se forme à l’intérieur, attendant d’être invités à assister à l’expression d’un lien d’entière confiance, de fine connaissance, ce don construit à partir de la matière vivante, ce qui échappera au prévisible, provoquera l’admiration, apercevant les pauses de la pensée quand seules quelques lettres sont suggérées, au sein même de son propre corps, le texte, prouvant sa fonction émotive, sa fonction réflexive, pour que le regard se porte dans l’immédiat entourage, détourné par la pensée d’un autre, quand se lever, faire quelques pas, toucher les objets du quotidien, s’habiller, ouvrir une porte, rencontrer un voisin, partir nager dans le ciel jusqu’à se reposer dans la foule face au panorama d’un spectacle permanent : l’humanité comme elle est ressentie, riche d’être puissamment plurielle et articulée.

Sunday, December 18, 2016

Claudine Hunault

Je sais que je ne peux démontrer
une chose que l'être inspire et qui ne répond pas correctement à la loi
la chose une fois éclose en moi demande sa ration de feu
comme le fauve exige son poids de chair crue

Je reparle de tout ça         aujourd'hui

puissions nous aller jusqu'aux confins de l'acte puis nous en éloigner
et laisser la musique dérouler le fil de ce qui n'a pas eu lieu

Friday, December 16, 2016

L'invisible en appel


L’invisible en appel, des images de quiétudes, au loin, espérant qu’un lien se tisse, qu’une histoire prenne forme, l’utopie assumée d’émotions rédemptrices, tentant l’inconçu, l’irrévocable, parce que les personnages ne se croisent que quelques instants, bouleversant le paysage, au cœur de l’inacceptable, comme un volte-face, ici, un peu de chacun, prêt à tout rompre, à cause d’un seul, à cause d’une diversion, un maniaque, devenu criminel, tranche de vie fauchée, au hasard de la désespérance, quand s’élève dans le décor le rempart de la foule, jouant à celui qui a compris, alors que des mondes se séparent, des navires coulent, l’horizon se dégage, purifié, l’armée des âmes a gagné, grâce à la confusion, grâce à la conviction, tendant la main, au bon moment, à l’univers riche de bontés, sourire illuminant le regard, chant du respect des différences, pour vivre entièrement l’érotisme d’une pulsion.

Monday, December 12, 2016

Maintenant doit surgir ce qui fleurit


Maintenant doit surgir ce qui fleurit, par le texte, grâce au texte, non pas celui qui se lit mais celui qui s’écrit, une mise à distance contre une volonté de ramener l’insensé au premier rang, le crime sans la fiction du crime, pour le rappeler, simplement, lettre par lettre, le nommer comme l’épeler, le désigner pour aider le verdict non de la morale mais de la justice, mort étouffé d’avoir été empêché de crier, enseveli dans les sables mouvants de l’âme, ce qui dispense de rédemption, sans scrupule, sans égards, accuser en public, en soulignant, en surlignant, un seul mot divertissant l’attention, comme un titre au milieu d’une page, quel suspens, quelle intrigue, parce que tout va se découvrir dans si peu de temps, un cadeau de noël, sortant du gâteau, avec un air de fête, des serpentins, au moment opportun, devant des centaines de témoins, des milliards de robots brassant la condamnation et la mêlant à tous les algorithmes, laissant faire les programmes dépourvus de sens critique pour faire des liens avec toutes les intimités volées, montré du doigt dans l’ombre d’un lectorat silencieux, le criminel à son tour tremblant, la victime victorieuse.

Sunday, December 11, 2016

Liliane Giraudon

La disparition du rituel une nouvelle forme de rituel      La question se pose      Aujourd'hui c'est la mode de dire que les livres ne changent rien      Mais je vous le dis      Lire change tout      Nous parlons Réalité      Nous sommes vos      Contemporains      Lire c'est vivre      C'est une machine de guerre      Une star du porno      C'est de vous qu'il s'agit      Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras      Ouvrez nos livres      Dormez habillés      Baisez debout      Creusez vos tombes      Le soleil s'est levé      La lune arrêtée à sa place

Tuesday, December 6, 2016

En premier lieu, tenter de feindre




En premier lieu, tenter de feindre, puis feindre vraiment, puis ne plus consulter, ne plus savoir, laisser faire ceux qui se sentent supérieurs, programmer une chaîne d’incompréhensions, le regard malhabile devant le déconcertant, tellement en retard, dangers mis à distance, le tout résolument tourné vers un avenir acquis, les écarts assumés, en question, l’autonomie et la stabilité, non pas comme un état mais comme une nature sociale, ce qui prend de la consistance, s’étoffe, douce odeur de fraîcheur, repos jadis volé, image suspendue d’êtres encagés, abandonnés, obsolescence du système, travaux inachevés, l’hypnose n’a plus d’effet, le cadre peut faire sens, offrir l’espace nécessaire pour qu’un sujet inattendu surgisse, un corps insoupçonné, ayant face à lui ce qu’il admire, conscient de son asymétrie, absorbant tout l’air disponible, au bord d’une falaise, bras ouverts, tournant sur lui-même, riant de provoquer les mouvements insensés de nuages dispersés, envoûtés, l’émotion gagnant la gorge, se faisant cri de larmes parce que les voies de respiration ne sont plus obstruées, où subitement tout devient chant, poème, distraction, une foule s’unissant pour ponctuer le temps de chacun, heureuse de commencer à vivre dans l’univers fictif, l’Éden de la joie, s’envolant, explorant, les visages comme accrochés à l’immense mobile de l’enfance, bras tendus, éclats d’expressions incontrôlées quand le réconfort s’aperçoit enfin au-dessus du berceau de l’âme, chers thèmes, à qui s’adresse la correspondance, la concomitance, restés se développer, se soigner, se nourrir, là où se sont vus les horizons naïvement rosés de l’aube éternelle.

Sunday, December 4, 2016

Claude Simon

Je me levai, allai mettre une pièce dans la fente de cuivre du piano mécanique et attendis que se déclenche la musique, le tintamarre discordant, multiple, sauvage, refoulant le temps, les bataillons serrés de notes aux ailes métalliques s'élançant, se déversant au rythme de cet implacable débit à la fois docile et impérieux, aveugle, inhumain, à l'usage sans doute des dieux et des sourds.

Mais rien ne vint. Sans doute était-il lui aussi détraqué et peut-être ne figurait-il plus là que par oubli, jusqu'à ce que le froid, l'humidité et le temps aient finalement raison de lui, jusqu'à ce qu'il s'en aille de lui-même en morceaux, absorbé peu à peu, digéré par cette chose monumentale dont le cartel noir au-dessus de la porte mesurait d'arbitraires, d'illusoires fractions (et rien avant, rien après, rien d'autre que l'alternance fixe et lente des étés, des hivers : les mêmes interminables journées d'août, les mêmes froids, les mêmes chaussures frappées sur le carrelage en entrant, laissant, détachées des semelles, les plaques de neige brune et fondante pointillées par les traces des clous, la même pente des rayons automnaux par la fenêtre, les mêmes ombres légères sur la vitre dépolie des hélianthes poussant le long du mur, le même silence, le même paisible tapage autour des chopines, au retour des foires, avec l'odeur âcre et acide du vin blanc, et dans une des deux chaises hautes et désuètes, parmi les buveurs, le même enfant sans innocence, aux joues de carton sale, frappant sa cuillère d'étain sur la tablette rabattue).

Par la fenêtre je pouvais voir au-dessus du toit violet de la grange d'en face, s'enténébrant peu à peu, s'enrobant d'ombre et de mystère, le grand sapin avec ses branches pendantes et chenues, insolite, noir, comme un vestige de la préhistoire, survivant des forêts englouties, des déluges dont les eaux en se retirant l'avaient laissé ainsi, encreux, sinistre, avec de longues barbes de mousse, ou d'algues s'égouttant lentement, courbant sour leur poids ses antiques branches.


Friday, December 2, 2016

Il n'y aurait donc aucun ordre



Il n’y aurait donc aucun ordre, le titre se trouvant à la fin, le moyen de transmettre au début, l’outil à portée de main, le travail agissant, en cours, en œuvre, exploitant les ressources d’un système sous estimé dans sa capacité de lier les fragments à la réalité d’un tout exigeant, auteur, personnage de lui-même, mis en espace dans la réalité, alors qu’il est censé disparaître dans l’œuvre, hommage du créateur, relation complexe entre un père et son fils, parce qu’il n’a existé que dans l’imaginaire, inconçu, incréé, là où les méandres se tissent, énergie retombée après des jours entiers de pleine puissance, au rythme de la vie, ce qui vient faucher en plein vol, l’incident, le mode d’une gouvernance instable, tentant un retour à l’ivresse d’un paysage nettoyé, avouant, se débarrassant peu à peu de ce qui encombre, loisible d’être en fonction, libéré mais exténué, ce qui compose le tout, en cours de réparation, par petite dose, parce qu’il est nécessaire de les aborder tous, un à un, quelques minutes chacun, mettant en question les lendemains, espérant que la structure prendra forme, pensée d’abord inversée, miroir du bon pas, à chaque fois, tant de temps pour s’en rendre compte, chassant la peur, oubliant la peine, les devoirs, les promesses, tout le contraire de l’invasion, pulsation de l’invisible, sensualité en gestation, ce qui se travaille dans la conviction, un jour, deux jours, tant de jours, la méthode en amont rejetée, comme un malade incurable pour se taire enfin dans l’immense volupté du désir, amant d’une nuit, l’écriture, si douce, relaxante, expérience d’un non-dit, saveur sucrée témoignant de la valse des lèvres, langue se penchant sur l’indicible, inventant un nouveau corps textuel, étrangeté du discours, accepté, comme tel, cambré, les bras étirés au-dessus de la tête, jambes repliées, ne jugeant pas le devenir, dans la durée, le long couloir de l’inconnu, sortir, s’expulser de la réclusion, administration du court terme, pour repenser l’action comme un contrôle, être seul maître à bord de la singularité, en attente, en formation, conduisant l’énergie déclinante pour garantir à la chute d’être évitée, ailes déployées, le sol encore si loin, pour se poser, pour repartir, chronologie d’un mystère, tourbillon de doutes, pour en finir, pour en finir, pour en finir avec la haine qui s’est injustement retournée sur elle-même, alimentant les virus plantés dans la sève du corps, jusqu’au bout des orteils, empêchant la simplicité d’une marche à travers le plaisir de ne plus être possédé.