Il m'arrive de croire que l'écriture a été inventée pour ça : vivre à l'abri de l'air et de l'oxydation pourvu que continue de briller, vue du dessous, la lumière d'un livre possible, celui qui ne se montre qu'abstraitement mais quand même produit l'ombre sous laquelle je peux m'abritrer. Là, dans cet appel ou promesse ou futur imminent, la pensée semble s'ébranler, étirant ses plis et ses froncements, en tout cas son mouvement rendu visible depuis la surface par quelques remous sous-marins dont un certain phrasé voudrait se croire capable de transformer le rythme et les caprices en une parole peu soucieuse de son action ni de sa dramatisation interne, mais fonctionnant par association libre et glissant, autant que possible, d'une idée à l'autre, selon l'ordre sans ordre de la divagation, et qui résonne, dans l'intuition que j'en ai, comme un air de paix intérieure. Il faut dire qu'il y a là quelque chose d'extrêmement réconciliant, quelque chose qui toucherait au cœur même d'un certain projet d'écrire : celui de se tenir au plus près de sa propre pensée, celui de s'accompagner soi-même dans une vérité fluviale et toujours neuve, cherchant seulement à épouser les contours sinueux de cette rivière souterraine qui nous sert d'esprit et dont une certaine folie narcissique nous pousse infiniment à retrouver la langue secrète et certainement chimérique.