La ville où je vis n'a guère de dimensions, et pour y avoir vécu des milliers d'heures qui toutes se reflètent à l'infini dans le miroir de l'ordinaire, je puis dire que je la connais comme on connaît un tableau de genre dont chaque détail se plaît à dialoguer avec l'ensemble, facilitant le voyage du regard, au point qu'un beau jour l'ensemble acquiert une cohésion définitive, et on peut alors s'y inclure sans rien déranger, s'y fondre, s'y oublier, en simple tache atone venue parapher ce que l'ennui ou le temps a pris soin de changer en chromo. La moindre enseigne, le plus banal dénivelé de trottoir, telle fenêtre au carreau fêlé, ce coin de rue après lequel on sait que s'étend un terrain vague, la bouche d'égout et son blason sommaire, tous les éléments sont en place et ne racontent plus rien, ils jonchent, balisent, prolongent ou complètent mais ne surprennent plus.