Il n’y aurait donc aucune rupture et j’en serais rassuré.
L’option dévoilait l’autre paysage attendu. Ici comme ailleurs, n’ayant pas résisté à la tentation. J’ai besoin de ce fauteuil, de ce temps. La méthode violente ne suffit pas. Ce serait grossir le trait. Je suis heureux d’être dans ces sphères, où quelques fantômes reviennent. Au bord d’un parc, tant d’éléments qui n’auraient pas changé. Je ne retiens pas les paroles cependant, de cette conversation. J’imagine qu’il n’est pas question de moi. Il n’est jamais question de moi. J’attends que parte ce qui verrouille, physiquement. Une question d’heures. Si cela recommence, c’est que la proie a été prise. Tout a eu lieu. Je suis là pour délier. La grande terrasse m’aide énormément. Je revois ces circulations que j’avais mis tant de temps à voir. Je ne saurais pas dire si c’est une question de période (de l’année). Le puissant calendrier agit tout de même. Je suis sûr que c’est cela.
Il faudra reparler de ce regard dans le vide que j’appelle le décrochement, réel, mais aussi signifiant.
La pratique appelle alors à d’autres attitudes. Je les bouleverse dès les premières heures. Maintenant, si je m’occupe d’un sujet, je ne m’occupe pas d’un autre, et ce serait se tromper que d’imaginer que je viendrais pour remplacer quelque chose. L’option que je ne prends pas lorsque l’occasion m’est donnée, c’est de revenir tout à coup à l’événement passé alors que justement il ne s’est rien passé. On pourrait ainsi en parler des heures et tout cela m’engagerait comme si j’avais signé en bas de la page qu’il faudrait porter plus d’attention aux réactions de ces souffrances souvent tellement blessées que rien ne pourra satisfaire que le maintien d’une forme de suicide permanent, c’est-à-dire, destruction du réel au profit de ce que j’appelle l’illusion. À défaut d’y arriver à chaque fois, je m’entraîne et je progresse tout de même. Et je dis non, je refuse, afin de préserver ce qu’il y a de plus cher en moi. Le vocabulaire, de même que les situations, je l’invente en continu et je ne cherche pas à savoir si cela collera avec l’image qu’on pouvait avoir de moi, forcément faussée puisque je ne révèle jamais entièrement. Ce qui m’intéresse, c’est comment toute la stratégie se met en œuvre, l’aspect purement mécanique du processus. Sorry boy, mais il y a eu erreur de jugement et de ce point de vue, je ne m’améliore pas avec l’âge, c’est irréversible. Depuis que je ne crains plus ce qui se réalise sous mes yeux, en effet, je suis plus détendu et j’applique strictement ce qui vient de se fixer au quotidien sans me préoccuper outre mesure de ce qui ne m’engage pas directement. Je rêvais d’une forme de déconnexion, mais comme à mon habitude, je m’étais d’abord trompé de chemin. J’étais, comme à mon habitude, parti dans l’autre sens. Là aussi, j’ai une certaine expérience et je ne m’inquiète plus d’avoir à rebrousser chemin, d’avoir à perdre du temps pour aller dans l’autre direction. Cela m’amuse presque puisque je revois les paysages que je connais par cœur, des formats que je pourrais dicter. Je les inscris même parfois à l’avance sur le papier. Le scénario est ce qu’il y a de plus facile à concevoir.
Devenir maître de son temps a quelque chose de plaisant. Les jours s’ouvrent. Les options se multiplient. Peut-être est-ce même la première fois que je n’en ferai rien. Rien de ce qui ne m’appartient pas. S’exprime en direct le goût d’un événement extraordinaire de type « accident de parcours », car en soi, il n’y a pas de raison que cela ne m’arrive pas. Ou bien, tragiquement, c’est décidé, je meurs, ou bien, plus insidieusement, j’entre dans le désespoir exprimé, peut-être la seule solution, pour guérir du poison qui circule dans mon corps. Cette évidence me cingle le visage. Je ne vois plus que la marionnette, sorte de robot du siècle, avec « AI » intégrée, l’application se voulant mystérieuse d’un message transmis jusqu’au regard, jusqu’à la parole autorisée révélant la situation qu’on ne voulait pas voir exister. C’est si différent que je ne le supporte pas. J’articule quelque ficelle, et je tends mon piège. Parfait. Tout se passe comme je l’avais espéré. Il suffirait maintenant d’un contrat d’adhésion mais en face, c’est un autre mensonge, il n’y a plus rien, caramba, encore raté, et me voici de nouveau aux cuisines, au ménage, au secrétariat, à la transmission de données, à la disponibilité permanente de cette « fausse histoire » qui se propage, aux heures dans les transports, à la petite existence, parole circonscrite et avec tout ce silence imposé, l’individu au cœur, le propre même du sujet, écarté, relégué. On n’en parlera pas. Et à force de ne jamais en parler, on oubliera. La pluie et le beau temps peuvent à nouveau dominer. Prenons rendez-vous pour la séance suivante et ce sera pire. J’aurai perdu cinq kilos, les cernes douloureuses à faire plier le front, légèrement courbé, toussant de temps à autre, puis m’effaçant longuement aux toilettes, inquiétant, annonçant que la migraine est devenue insupportable, m’excusant, je m’endormirai sur le sofa jusqu’à ce que quelqu’un me conseille de rentrer chez moi. À ce futur s’adjoignent présent et passé. Me voilà rentré. Les vignettes reviennent en mémoire. L’épouvantable recours à la surdité pour manifester ouvertement son opposition à ce qui se produit en direct. Ce qui se dit est insupportable. Je mets quelques mots désordonnés afin d’y déceler une sorte d’explication relative, un fait surgissant, agissant, rappelant, me permettant de m’approcher de la source d’un mal, parfois même d’un crime. Ce n’est pas chronologique. Ce n’est pas aussi simple qu’un traumatisme d’antan, non réglé, qui referait surface. C’est sans sourdine le cri d’un enracinement, le fait social aspirant à se faire connaître et choisissant pour cela un corps pouvant l’accueillir et lui donner vie à l’intérieur des phrases, parmi les mots. Il n’y a actuellement rien d’autre qui puisse agir puisque j’ai choisi la bulle protectrice pour justement le conjurer, éviter qu’il ne s’échappe, par quelque trappe métaphorique, l’assigner à résidence lui qui le premier, sans se méfier, vient de se faire piéger et je ne le lâcherai pas tant qu’il n’aura pas prouvé sa non culpabilité, tant qu’il n’aura pas répondu de ses actes si je le découvre criminel. La présomption d’innocence n’a pas cours ici. Coupable, ou du moins responsable, à quel degré, je le mettrai à jour, coupable, donc, ou responsable, de la situation dans laquelle je me trouve. Il faut commencer par quelque marqueur que je n’arrive toujours pas à prendre en compte, le ton, le style, cette manière désinvolte d’aborder quelque sujet de société, mais oui, suis-je bête, puisque nous ne pouvons être que ce que nous lisons ou écrivons, puisqu’il n’y a pas d’ailleurs à cela, nous le devinons, nous le reconnaissons, nous savons à quoi nous référer.
Je ne suis pas surpris qu’une partie d’entre nous soit tout à coup déconcertée et ne sache plus où aller, quoi en dire, quoi citer ou comment réagir lorsque l’évocation, pour être comprise, aurait nécessité ce qui ne s’était jamais fait dans ce milieu. C’est très impressionnant de constater cet effet partout où il est fait mention de ce que je connais du début à la fin sans exigence de ma part mais au fond, il était plus intéressant d’entendre la synthèse, d’entrevoir le suspense, que d’assister à la fabrication, en direct, d’une supercherie. Je me rends compte à quel point tout cela devient transparent et je comprends surtout pourquoi j’avais jusqu’à présent certaine réticence à faire mention d’un tel personnage, pour qu’il n’ait plus aucune fonction à l’œuvre. Je veux inscrire ce qu’il y a de plus vrai. Le faux semblant est trop complexe car il conduit à une forme qui, c’est un choix stratégique, n’a plus lieu d’être. Sinon, ce serait toujours le même effet, la même cour, le même besoin de faire que ce microcosme continue sans scrupule à exclure tout un mode d’expression, j’ose le mot, populaire, c’est-à-dire, non éduqué à exclure. Ce ne sont pas des types de racismes dont je parle car du racisme, il y en a à tous les étages de la société, mais bien d’exclusion, de tout un champ, de toute une sphère, la révélation d’un drôle de mystère à l’intérieur même de l’œuvre. La méthode est perverse. Je ne vois pas de quoi on parle. Et : on n’en parle plus. Sauf qu’intervient une autre donnée : la durée. Depuis le début, c’est comme ça. Depuis le début, c’est le mur, mais depuis qu’il y a eu un début, la méthode d’exclusion n’a pas changé alors que ce qui la combat a évolué. Il n’y a qu’à voir à quel point, et sur tous les niveaux, je n’ai plus besoin de cette acceptation pour faire autour de moi un bien être intarissable. Et tout se capte insidieusement. Les perversions toujours à l’affût cherchent (et trouvent) d’autres proies. J’ai toujours su dire STOP au bon moment, à quelques prémices que je vois venir de loin à présent, au moment où la focalisation viendrait se placer sur le quotidien, les décisions d’action, la parole, voire l’argent d’un autre. Cela devient tout jour et nuit. L’inquiétude monte. Je me sens redevable. Jour et nuit, donc, quel que soit ce qui m’occupe dans ma vie, frais et dispo, je n’aurais pas le droit à quelque faiblesse, quelque question existentielle qui réclamerait l’attention d’une tournure de phrase ou de l’apparition d’un nouveau chapitre.
Voilà qui est très différent du précédent. D’abord, il n’y a plus aucune confusion entre ce qui se travaille individuellement et ce qui se trame collectivement. Ensuite, et parce que oui, je deviens peu à peu impatient, je choisis une voie d’accélération. Enfin, je n’ai plus d’égard pour le politiquement correct. J’ai bien conscience que cette attitude peut paraître violente. Je n’en démords pas. C’est la guerre. Nous sommes traqués de toutes parts par des hordes puissantes et génératives. Le bunker est opérationnel. Il n’en sortira rien mais avant cela, il n’y aura plus aucune intrusion.
C’est pour cette raison que la description du lieu est très importante. L’aspect quelque peu massif et surtout, cette histoire d’escalier. Il y en a un, ouvert, apparent, on se voit monter, il y a des grillages pour éviter quelque chute malheureuse. C’est celui que la plupart prennent, pour ne pas disparaître tout de suite. Il est réputé moins dangereux. Les autres (escaliers) sont emmurés. Personnellement, je le prends parce que c’est le chemin le plus court, mais il ressemble à une sorte d’escalier de service. J’y croise quelques corps malades, avec cette difficulté d’adresser un salut, et cette étrange attitude qui fait qu’on a toujours l’impression de surgir dans leur monde où rien d’autre que leur problème n’existe. Alors, j’entends des voix, elles m’appellent, elles créent un manque, un besoin. Ces voix sont transposées. Il faudrait un bagage pour les interpréter. Je ne serais donc pas suffisamment armé si je ne les comprends pas ou si je ne saisis pas immédiatement ce pour quoi elles se sont exprimées. Ce n’est pas exactement comme les vignettes du passé qui reviennent. J’aurais à courir sur la feuille pour les saisir, celles-là, mais bien souvent, je les laisse fuir car je n’ai pas envie de m’en occuper. Ou du moins, je n’ai pas envie de me poser et de me dire : « voilà comment était la situation », puis tout remettre dans l’ordre pour que cela fasse un récit cohérent pour lequel j’aurais à inventer y compris joies ou malaises, cette étonnante constance qui me somme de penser : « pas d’inquiétude, cela ne se fera pas », ou : « pas d’inquiétude, c’est de toute façon la bonne voie », et puis rien, ou comme d’habitude. Rien ne se passe parce que tout a eu lieu. C’était stupide de ne pas percevoir les signes grandiloquents. Tout à coup disproportionné. Le projet ! Et la surenchère. Je tente de revenir à cette autre voie, ou plutôt, c’est maintenant que je l’entends. Ce n’est pas compliqué. Ça tourne en rond, c’est tout. Le chat se mord la queue. Se prémunir de tout cela devient vital. Lutter comme je l’ai dit déjà contre cet ennui mortel. Contre cette assignation à paraître abattus. Je ne sais pas combien de temps je tiendrai. Pour le moment, cela se compte en heures. Une heure de sauvée, puis une autre. C’est le même état. C’est la même période. Ce sont les mêmes larmes. Ainsi, tout cela n’aura servi qu’à réactiver la blessure. Je le savais pourtant, au moment des faits, que ce serait irréparable. C’était ce qu’il y avait de plus bouleversant, de sentir entrer dans son corps la condamnation. Ce serait moi le coupable, tout le reste de ma vie. Et voici où mène la culpabilité, aux « vignettes » permanentes, aux scènes répétitives. On ne s’en soigne pas. On en peut qu’en devenir porte-parole. Malgré cela, je réutilise la méthode. D’abord rejeter toute insensibilité. Puis organiser le piège, à l’intérieur du texte. Enfin, traduire comme j’aimerais l’avoir entendu, dans d’autres fictions. J’ai tout conçu de cette manière. Pour mettre à l’épreuve toutes les connexions trop facilement envisageables selon moi. Et tout viendrait résonner avec ce que l’on s’imagine. Il manquera toujours l’accès du privilégié. La porte du tout cuit n’a pas été construite.
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