Monday, November 25, 2019

Fragment de jours - 02

Je suis parfaitement au rendez-vous de ce qui est, revivant comment la violence s’est une fois encore manifestée, relisant, pour moi-même, comment j’étais parvenu à m’en sortir, plongeant, sans me poser de questions, dans ce que j’avais établi pour ces « cas-limite » qu’au fond je pressentais. Le plus important aurait été différent si tout à coup je n’avais pas pris en compte cet autre récit parallèle. J’y pose alors un autre regard. C’est bien le lien qui continue, le lien qui domine. En quelque sorte, ce qui semble totalement invraisemblable, si je le relatais, on ne le croirait pas. Et finalement, je serais triste, certainement, si ce n’était pas ainsi. Non, pas triste. Je ne serais pas entier, tout simplement et sans surprise. Ce que je découvre me bouleverse, car il y avait cela dans l’air, dans le temps. Il y avait cela qui arrive maintenant et j’y étais tellement à l’écoute que j’ai conçu, préparé en moi, le moyen de le recevoir, en toute intensité. Le plus simple est de l’accueillir, au présent, d’assister à cette merveille, lorsque rien ne préside, à toute forme de manifestation. On me poussait à l’échec. C’est encore raté. Et j’en aurais des bilans à faire, jusqu’à comparer les contenus. C’est édifiant dès les premiers jours. Ainsi, c’était ce monde dans lequel il n’y a presque rien. Une date, un mot-clé, quelques lignes. Et encore, je me suis surpassé pour remplir un peu l’ennui à l’aide de ma capacité à me distraire au moment le plus critique, quand les regards tombent et qu’on n’a plus rien sous la dent que les bilans et perspectives du non-être. Reprenons au début. L’idée n’était pas forcément de tout quitter mais d’altérer la perception ainsi que la manière de faire. Pour cela, il suffisait de rompre avec une habitude. On entre dans un système et on n’en sort plus alors qu’il est si bon de tout renverser, de découvrir d’autres codes, d’autres énigmes. Je n’ai pas hésité une seconde. C’était comme un rapatriement d’urgence. La cadence m’était imposée. Je devais suivre l’au-delà du texte à travers la variété de son écriture. C’était maintenant. Il fallait le faire. Je savais que tout s’organisait pour m’en empêcher mais c’était sans compter sur la foi. On pourra évoquer un délire psychotique. Ce sera trop tard. Du fait que je n’ai pas attendu, que j’ai couru acheter l’intégrale pour vivre l’expérience non pas de tout avoir mais de tout pouvoir m’offrir à l’infini, ce que personne, je suis sûr, dans mon entourage, ne fait jamais. Et ce n’est pas pour me rendre exceptionnel. Nous le sommes tous. C’est pour me distinguer dans un pays aux normes tellement significatives qu’elles figent l’intelligence à un état d’épouvante désespérant. Ce que je prévois ne se verra que dans les conséquences qu’elles auront sur ma propre opinion. Le recul intégral, absolu, n’étant pas possible, seule la fiction m’aide et désormais c’est plus que le pari que j’avais formulé. L’énergie qui en résulte est grisante. J’espérais quelque chose en lien avec ce qui n’était pas ce que j’étais, qui n’était pas mon genre. Le décalage sera puissant. Il n’y a rien en désordre. Ce ne sont pas des listes de ce que je devrai faire. C’est ce qui se passe dans la vie, sans jamais relater, pour seulement transcrire ce que c’est, comme on a besoin de le savoir, comme on aimerait le faire, comme on nous pousse à croire que ce serait possible si nous acceptions la soumission. Courber l’échine devant la misère expressive. La réalité est tout autre. Elle est pleine de ces instabilités à l’œuvre dans lesquelles je sais qu’à présent je souscris. Ce qui en sort est ce que j’ai voulu, cette virtuosité du contact, parce que personne ne sait ce que la loi dit, ce qu’elle institue au fur et à mesure. Ces plongées étourdissantes. Pour quelques euros seulement, je peux tout. Car se satisfaire pleinement dans son propre désir, c’est tout pouvoir. Le roman dit tout. Le rythme est fou. Ça pulse. Je me revois encore dans les temps anciens. C’était à pleurer. Cherchant lien, cherchant contact. Tout semblait magnifique. C’était le bonheur d’un alcoolique. Après quelques verres, tout paraissait splendide. Mais ce que cela m’imposait, c’est qu’il fallait constamment faire attention de ne pas trop dire, de ne pas trop faire alors que je voulais l’excès, la totale, la renverse, les courses folles, les rencontres improbables, l’excitation à son paroxysme. Il y avait dans tout cela la manière avec laquelle il fallait pouvoir se montrer, sans mon propre désir, totalement fou, comme je suis, délirant. C’est si puissant que je me prends la tête, je hurle dans la nuit, je ne fais plus de distinction entre ce que je propulse vraiment et ce que je laisse aux simples angoisses, telles qu’elles apparaissent, je ne sais plus, je prends partie, comme une décision, dès demain, la première heure, c’était trop difficile de résister, mais après tout, ça ou autre chose, à quoi bon résister, puisque je ne fais plus que créer, que je dédie mon écriture à cela, comme une tentation permanente à ne plus voir que le tréfonds de l’âme puisque rien, à ma connaissance, ne sonde cette part de nous qui pourtant fait tout, jusqu’à ce que nous sommes actuellement. Ce sera parfait. « Demain, sorry, je ne peux pas ». Tout simplement. Et je serai libre de changer d’avis. Il ne s’agit pas de contrôler la vie d’un autre. Juste d’appliquer. Puisque c’était déjà arrivé. Je savais faire. Appuyer les mots qui obligent. Sans concession. Le réel tel qu’il est. Chaque jour. Pensé.

---