Wednesday, April 7, 2021

Nicole Caligaris

La clarté commence à ras de terre, la leur était bleue, ils y avaient cru. Ils étaient partis, dans ce paysage de sable et de cailloux, comme ils étaient, sans chaussures dignes de ce nom, épuisés, sans emporter à boire. Ils avaient aperçu les points flous des 4 x 4 de la compagnie minière. La brigade. Les hommes de sécurité parcouraient la voie ferrée. Ils avaient suivi le cap. Ils s’étaient postés pas loin des rails. Quand ils avaient entendu venir le train, ils avaient démarré, avec leurs claquettes aux pieds, l’un derrière l’autre, ils s’étaient mis à courir, noirs encore, chauds, lancés par leur noyau en fusion, alors que leurs membres n’en pouvaient plus, que la course les pliait en deux, qu’elle leur pinçait les narines pour en aspirer le dernier souffle, qu’elle leur faisait remonter leur fil jusqu’au va-tout de son origine, jusqu’à l’instant de leur naissance, de leur chute dans l’atmosphère, de l’apnée et de la toux d’apocalypse qui allait avec, ils avaient attrapé le train de la compagnie minière, sans doute que la nuit avait flanché un instant, que le ciel à peine fait les avait désirés pour de bon, à ce moment-là, assez proche encore de ses minuscules drageons pour les arracher des cailloux, au moyen de leurs propres cuisses qui avaient trouvé la dernière force de faire le bond, de leurs propres bras dont les poings s’étaient accrochés aux échelons du wagon et qui avaient réussi à tracter leurs quarante kilos d’homme à bout, pendant que la brigade qui devait revenir n’en était pas encore à cette cote de la ligne, c’était par ce coup impossible que le ciel les avait portés, qu’il les avait allongés, sur le chargement de bauxite, contre sa propre peau et c’est là, imprégnés de minerai rouge, secoués comme des jujubes, roulant vers leurs prochaines minutes dont rien n’indiquait la durée, que la mort leur était sortie du ventre, par un rire pyrotechnique, flambant le feu, soufflant le soufre, et c’était dans ce rire que leur œuf à deux germes avait pris, avec à l’intérieur son centre divisible, son ballot de matières, ses hélices, ses mailles, son modèle à deux cœurs dont pas un ne serait sauvable mais qui pompaient, à cette minute, le même pa-poum.

Thursday, April 1, 2021

Chroniques de l'invisible - 452

Ce n’est pourtant pas aussi simple qu’une tacite reconduction. Ou pour toute la vie. Imagine, un jour. Tout simplement. On se détourne. On n’y pense pas vraiment. Ah tiens oui ce n’est plus là. Je te dis que c’était rouge avant. Des bribes. Des jours qui passent devenus jours passés. Tous les protagonistes, regards gênés. On a beau le savoir. On a beau s’y attendre. Ça fait son effet. Jamais véritablement le même. On en est là. On est là. Il aurait pu nous passer un petit coup de fil. Tendus à présent, à devoir expliquer, dans cet univers où chaque bâtiment, chaque tour, le moindre trottoir, au loin des champs, pas si loin, une place, naturellement, sinon on ne peut pas se retrouver. Il suffit de quelques détails, l’image incrustée au coin de la pensée. L’entre-deux, comment dire, prolongé. Ce petit air de découverte envahissant l’expression. Il est si heureux. Il ne veut plus partir. Cette fois, c’est plus difficile. Habituellement on y pose des options. Je pense assez spontanément : on verra bien. Je demande : qu’est-ce qu’il y a ? De la tristesse. Et quoi de nouveau ? De la résignation. Constater. La réalité. Ce sera « l’en travaux », oui, plus long que prévu. Un lourd dossier est arrivé hier. Certainement criminel. C’est toujours criminel avec lui. Il contient l’étape importante. Pour l’intrigue, essentiel. On dira : ah c’est pour ça ! Terrible. Ces vagues qui toutes annoncent, dénoncent, renforcent, détruisent. Je pense à « tous ces avrils de ma vie », à toutes ces traversées. Il n’est pas temps de tout relier. Plus que jamais, les Nornes relancent la corde d’or. Même si j’aime quand il manque des mots. C’est si beau de le voir se baigner dans le plaisir. Je lui donne, je ne peux pas m’en empêcher, c’est sans doute cela, pour ces quelques minutes d’intensité, je dois lui dire, l’émotion est si forte, il ne saisit pas, il y a un point final, la corde d’or, ça commence par « c’est terrible », je veux que cela s’imprime en lui, dans sa propre difficulté, lorsqu’il plongera son regard dans le paysage où rien ne semble bousculé, je veux qu’il m’emporte, qu’il emporte cela de moi, de toute évidence, il n’a jamais entendu une telle révélation, de cette manière, « si l’on se reverra un jour ».

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