Friday, January 26, 2018

[NO WAY] - 19

Nous venions de passer un peu de temps tous les deux à ne rien faire qu’être ensemble. Presqu'innocemment, il m’avait invité chez lui pour finir la soirée. Une histoire presqu’écrite à l’avance, ses parents absents, l’appartement juste pour lui pendant encore quelques jours, l’heure tardive où monter voulait déjà dire rester. Il m’offre un dernier verre. Nous nous installons sur le canapé et nous continuons nos conversations. Il me raconte quelques histoires banales et je pose quelques questions. À son tour, il pose des questions, et nous parlons un peu de sexe, d’aventures, je lui dis que toutes ces histoires sont lointaines, que dorénavant, je ne lie plus l’amour, la recherche de fidélité, au désir fou de partager un moment d’intimité avec un autre, qu’il ne soit qu’une seule fois, qu’il se répète maintes fois, sans lendemain, juste pour être ensemble, presqu’uniquement pour ça. Je lui dis que le sexe est devenu un plaisir en soi, comme on se baigne dans un océan en pleine nuit, avec ceux avec qui on a envie de partager ce moment-là, à ce moment-là. Il se demande si j’aurais le même discours si j’étais en couple, et je lui dis que je ne sais plus ce que c’est, être en couple, car c’est pour moi quelque chose qui s’invente à chaque nouvelle rencontre, sans code, sans méthode préécrite, et que c’est aussi comme ça que je considère une prochaine histoire, avec quelqu’un qui comprendrait ça, qui m’aiderait à mieux moduler ce que je pense, aime et ressens, sur ce qu’il pense, aime et ressent, lui, et que j’adapterais ma pensée, mon désir, sans aucun doute, surtout si je pense continuer, si je souhaite le rendre heureux, avec moi. Ce n’est pas qu’une question de fidélité ou d’infidélité, je lui dis que je ne veux pas savoir, c’est tout, ce qui se passe en dehors de nous de ce côté-là, de ce point de vue-là, estimant que si on ne fait aucun mal, on peut vivre une pulsion éphémère, une histoire parallèle. En parler, c’était déjà entrer dans une partie très avancée de notre intimité, d’autant que lui n’avait, à ce qu’il disait, jamais eu d’expérience de ce genre. Il disait qu’il était resté très classique, avec des femmes, avec fidélité, se disant être incapable de partager tout cela sans un début d’émotion qui ressemble à l’amour. Pendant ce temps-là, nous buvions du rhum de Cuba. Il m’avait autorisé à fumer, nous étions installés sur le canapé, l’un à côté de l’autre, tournés pour se voir, tournés pour se regarder. Je souriais et il me demandait pourquoi. Je lui disais sans me presser qu’il n’était pas utile de passer à l’acte pour avoir une expérience de ce genre et que ce que nous étions en train de vivre, à ce moment-là, relevait d’une forme d’échange intime qu’il n’aurait peut-être avec personne d’autre que moi, non seulement parce que c’était moi, mais parce que c’était nous, parce que c’était un choix que nous nous offrions l’un à l’autre, l’un pour l’autre, et que toute relation de proximité, quelle qu’elle soit, comportait selon moi une forme d’érotisme. Il me regardait, incrédule, se souvenant de tous les moments qu’il avait partagés avec des hommes soutenant qu’il ne se souvenait d’aucun moment érotique. Nous discourons sur le sujet. Tant qu’il n’y a pas conflit, il y a un besoin de partager quelque chose, même si c’est un verre, c’est une forme de plaisir d’être ensemble, surtout lorsque ce moment se fait uniquement à deux, pourquoi pas à plusieurs, c’est s’offrir un moment de plaisir. Il me demande si je n’ai réellement jamais eu de relations sexuelles avec des femmes et je lui dis qu’en effet, ce n’est jamais arrivé, ce qui ne m’empêchait pas de partager des moments érotiques. Je me moque en lui disant que moi aussi, finalement, je suis resté très classique. Il rit de se rendre compte que nous avons donc un point commun, c’est de n’avoir eu des relations qu’avec un seul et même genre de l’espèce humaine, les femmes pour lui, les hommes pour moi, riant sur le terme qu’il utilise globalisant l’humanité tout entière comme un paysage global où nous serions l’un et l’autre dans notre partie du monde sans aucune possibilité de se rencontrer. Je souris à nouveau, songeur. Je lui rappelle les moments que nous passions tous les deux dans la salle du rez-de-chaussée, et lui dis que je trouvais que c’étaient des moments sensuels, selon moi. Il me dit qu’il n’avait jamais perçu ces moments-là comme des moments sensuels, et je lui dis que ça n’avait pas d’importance, parce que ce qui comptait pour moi, c’était non pas ce qu’il me donnerait, mais ce que moi, je serais capable de lui donner, m’offrant un peu à lui en lui accordant un temps que j’aurais peut-être occupé autrement s’il n’avait pas été là. Je lui dis que c’était un bon souvenir pour moi. Il me demande si j’ai parfois ressenti un désir quelconque pour lui, et je lui avoue que oui, des désirs pour lui, j’en ai souvent, parce que j’aime l’attention qu’il semble témoigner aux autres, sa gentillesse et que je le trouve extrêmement séduisant. Il rougit un peu et me dit que maintenant que nous en parlons, il se rend compte qu’il s’en doutait un peu. Je lui demande s’il s’en doutait en se rappelant quelques signes que j’avais laissé paraître, comme des regards peut-être un peu trop attachés ou des paroles peut-être trop douces. Il me dit qu’en effet, il y avait peut-être pensé, sans vraiment le formuler comme ça.