Friday, October 6, 2017

Il fallait avouer, désormais

Il fallait avouer, désormais, puisqu’il était lui-même venu se dévoiler, ou alors, si ce n’était pas seulement pour menacer, il fallait dire quel était le but, de faire comprendre à l’autre qu’il serait possiblement partout, l’épiant, dans son sommeil, entrant, durant ses rêves, sans faire aucun bruit parce qu’il avait les clés, identiques, les mêmes, un double, un miroir monstrueux, l’impensable reproduction, dans un couloir étroit, se gênant, se barrant le passage, à faire comme s’il était chez lui, à laisser deviner dans l’intensité de son regard que l’autre ne pourrait rien, que personne ne saurait, le crime parfait, l’insoupçonné, l’oublié, tout à coup, revenu, pour la vengeance, à se demander quelle arme il allait sortir, si tuer serait au programme, quand on ne sait plus s’il sera possible de se contenir, si nous aurons la force d’aller jusqu’au bout, si proches d’un objectif qui s’est lentement construit à l’intérieur-même du désir, d’entrer en confrontation pour qu’il n’y ait plus qu’un fait à relater, quand seront découvertes les misères venues s’y exprimer, sous la forme, peut-être, d’un corps abandonné, d’une tête fracassée, de coups portés, partout, sur les bras, dans le dos, sans aucun autre indice de violence, sans aucune effraction, comme entreposé dans un décor paisible pour frapper la conscience, pour devenir la scène d’un crime, là où personne ne l’aurait imaginé, brisant la continuité de toute une série d’histoires, un matin, se levant, l’appel d’un agent de police, la suffocation du discours, pensant qu’il s’est trompé de numéro, que ce n’est pas la bonne personne, « vous devez faire erreur », tout ce qui est dit ressemble, mais ce n’est pas ça, ce n’est pas vrai, quelqu’un l’a inventé, pour faire mal, pour que jamais ne s’arrête l’illusion d’avoir créé le cœur-même de l’intrigue, comme un poème dont il n’était pas utile de comprendre le sens, parce qu’il fallait un début et une fin, à quelque événement, le bouleversement, immédiat, l’avant et l’après se faisant face, pulvérisés, dans la pensée, le rythme cardiaque s’emballant, puis la haine, puis la rage, puis les larmes incessantes, à cause d’un corps qu’on n’a pas encore vu, à cause de l’imagination qui reconstitue, comme à la télé, comme un gros titre, quand nous pensions déjà que c’était insoutenable, oui, insoutenable, de devoir ralentir à ce moment-là de la vie, ce matin-là, à cause de lui, n’accusant pas celui qui tue mais celui qui meurt, c’est un non-droit, pas dans ce sens, pas aujourd’hui, parce qu’il va falloir annuler des rendez-vous, changer les plans, non pour un personnage qui disparaît, mais pour un personnage qui apparaît, un spectre, un esprit, une idée de ce qui serait une fin, à se demander qui, à vouloir faire des liens, des chronologies, vérifier dans les tiroirs, se persuader qu’il n’y a pas d’autres options, oui, c’est cela, avoir trouvé la preuve, appeler dans tous les sens, violenter tout le monde avec cet incident, les amis, choqués, se renseignant, se trompant, faute de temps, ne comprenant pas l’utilité, ne pouvant plus expulser, faire comme si, des jours passant, puis des semaines, quand il aurait suffi d’en parler, la cohorte des malentendus, jusqu’à laisser faire, admettre qu’il faudrait régler cette affaire, trois, deux, un, l’ultimatum, le médiateur, c’est maintenant, le choix à faire, la décision à prendre, le silence imposé, bien sûr, il faudra, revenir au début, essayer de mettre du sens, corriger les erreurs, s’excuser, admettre qu’il y avait matière à confusion, ce que serait une conversation qui n’aura jamais lieu, entre le criminel et la victime, parce que nous n’avons plus envie d’entendre les justifications, parce que le plus important, maintenant, est d’avoir vu qu’à l’horizon le soleil allait se lever, que la lueur changeait, que les oiseaux traversaient le ciel, que l’émotion se répandait dans le corps, proche du bonheur, un vrai bien-être, apaisant, pour signifier que nous n’avons rien oublié, qu’il a suffi de dormir quelques heures, de se dire que c’était un nouveau début, une nouvelle histoire, nous avions choisi une autre voie, de nous souvenir des exaltations, des romans inscrits dans le désir, des parfums d’embrun, des vertiges de cette volonté qui donne la force d’ouvrir un volet, de partir se promener dans la vie des autres, dans la continuité, pour le plaisir que c’est de partager, un premier regard, une première poignée de main, un premier aveu, « si tu veux », tant nous avons envie d’être ensemble, de chercher ce qu’est ce petit morceau de soi que l’on trouve un peu partout, dispersé, relégué, transporté, pour un prénom, échangé, quand il a été si simple de dire la vérité, « t’as bien raison », à la terrasse d’un café, des convictions similaires, une situation qu’on n'aurait pas envisagée, d’une combinaison quelque peu surprenante, drôle de truc, un passé qu’on ne refuserait pas mais qui n’aurait pas d’influence sur l’immédiat, à part l’énergie de son évaporation naturelle, temporelle, un écho dans le quotidien, nourrissant ou ralentissant un nouveau projet, selon les cas, selon la norme, outil puissant conduisant l’impatience à construire alors qu’elle n’avait jusque là fait que détruire, empêcher, perdre, quand chacun voudrait que soient justifiés tous les gestes, que soient concrétisées toutes les attentes, ne plus supporter ce qui se répète inlassablement dans la vie, qui ne sera jamais autant bouleversé que ce que nous espérions, parce qu’un nouvel espace s’est détaché, ne s’attardant plus aux quotidiennes injonctions, comme une conclusion, un avis, exprimé, c’est-à-dire, d’abord, ressenti, jusqu’à l’évidence, puis s’inscrivant dans nos corps, ce qu’ils disent, à leur manière, la voix métamorphosée en souffle timide, n’osant plus prendre sa place autrement que dans le tumulte des désordres apparents, ce qu’ils préparent en ne dormant plus que le temps nécessaire à l’imprégnation, pour enfin laisser faire, laisser venir, une fin, l’inconnu, ces vagues légères, ces regards doux, une main se posant, un contact avec l’espéré, esprit d’une solitude habitée, pour être venus, ensemble, admirer les mêmes éléments, abandonnant ce qui nous avait alourdis, sans regrets, pour la saveur d’une paisible joie, encore marquée par la fatigue, les élans d’une angoisse si profonde qu’elle agissait malgré eux, qu’elle agira malgré nous, constitutive, écoutée, aimée, comme tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes, en partie, si complexes qu’il sera inutile de juger, préférable d’apprécier, ce chemin parcouru, qui nous a menés là, à nous retrouver, le sourire généreux, les hasards rassurants, pour y avoir cru dès le début, l’avoir ainsi envisagé, que l’essentiel serait sauvé, qu’il n’y aurait bientôt plus de réelles intentions de nuire à la parfaite continuité d’un savoir, visualisant une prochaine étape dans une sphère où des images ne peuvent se figer, par nature, poétique, matière de l’éphémère, ce qui s’éveille et s’assoupit, en nous, conscients, qu’un travail est en cours, qu’il se donnera à voir, aussi, dans les foules que nous traversons, sans date, sans ordre, sans limite, ce silence imposé pour trouver un seul mot, le dernier, que nous aurions à formuler, déjà en train de se dessiner, puisant son énergie dans la mémoire de plusieurs êtres, des idées, des essais, des exemplaires, disponibles, des romans, des personnages que nous aimerions revoir, ne plus les nommer, les aider à ne faire plus qu’être là, dans un paysage que seule l’émotion sait créer, ressemblant à celui que nous observons chaque jour, ciel ouvert, mobile, tortueux, de ce qui résiste, à cause de la séparation nécessaire entre ce que nous avons vu nous échapper au moment où nous aurions tant souhaité que ce nuage-là, cette pluie fine, n’en finissent plus de revenir tels que nous les avons perçus, silhouettes, debout, face au mouvement permanent, le dos disant, les bras disant, que si nous étions ce nuage, cette pluie, nous aurions vu deux visages différents sur lesquels une même larme coulait, deux corps se rapprochant n’osant pas constater la présence de l’autre, se retournant, finalement, longue inspiration, ne souhaitant plus se cacher l’un de l’autre, acceptant qu’il faudrait faire quelques pas, les corps, s’unissant, les désirs, l’intime, ne doutant pas qu’il faudrait sans doute apprendre à compter autrement, quand les douleurs reviennent, que la tête penche, qu’ils arrivent sur une même rive, qu’ils savent qu’une nouvelle partie de leur vie se prépare, un temps que nous aimerons partager parce que nous savons que de ces êtres que nous croisons désormais, aucun n’est venu par hasard, qu’un nouveau souffle viendra porter nos écritures communes, dès ce soir, dès demain, dès que nous sentirons qu’il sera temps, dès que nous nous serons séparés de ce qui nous a occupés tant d’années, quand, au creux de la gorge, la tristesse revient, la volonté de la voir naître, sensible, quand il sera à nouveau possible de l’entendre, que nous pourrions tout perdre à tout moment, qu’il ne serait pas possible de reproduire ce qui n’a pris qu’une seule couleur, ce rouge orangé, bouleversant, ce trait violent traversant tout ce qui nous surplombe, nous contient, nous envahit, l’air que nous respirons, ce qui fonde notre vie, comme dans la hâte, être épuisé de l’avoir pensé, cet effort, pour expulser, les tensions inutiles, les agressivités incontrôlées, pour pleurer, laisser ce qui doit disparaître s’éloigner, ne plus croire que reviendront les heures de pureté qui se sont attachées à nos propres histoires, insensées, improbables, d’avoir tenté d’en faire le récit-même de l’écriture, alors qu’elle savait, l’écriture, qu’un jour l’encre se tarirait, qu’il n’y aurait plus assez de place pour continuer, qu’il faudrait se transcrire dans un autre format, pour vivre à son tour, constamment inachevée, le long parcours de sa propre élaboration, pour être ailleurs, partout, autrement, à l’écoute d’un mystérieux engagement, une lenteur que seules les années peuvent instruire, pour que nous lui offrions ce qu’elle désire développer.