Il explique qu’il est le roi, ou comme le roi, qu’il est à la recherche d’une émotion perdue, que c’est là sa seule quête, depuis vingt ans, parcourant le monde avec toujours la même sensation de n’appartenir à aucun lieu visité. Partout, il assiste à l’éveil des sens, mais il n’en sent aucun qui le concerne directement. Il est peut-être condamné à errer. Le compagnon propose au roi de rester quelque temps. Il y a une longue rivière calme bordée d’arbres. On peut s’y promener. Au port, les gens sont simples. Il pourra se fondre et tenter de comprendre ce qu’il y a à trouver. Il suffira de ne rien dire. Le peuple, ici, n’interroge pas. Il n’aura juste qu’à écouter. Il accepte, laisse de longues minutes de silence s’installer, se tournant vers la fenêtre. Il regarde au loin. Sa voix se fait entendre, peu à peu, comme un murmure. C’est comme une chaleur permanente dans la gorge, comme si le corps était constamment épuisé. Le temps n’a plus de fonction. Il ne pense plus qu’à la sueur qui coule le long de son visage. Son dos semble ne plus rien pouvoir supporter. Il lutte pour ne pas s’avachir. Chaque matin, il pense qu’il y arrivera, mais il n’y arrive pas. La tentation est trop forte. Son cœur bat tout à coup plus rapidement. Il se tait. Le ciel est déjà rose. Quelques oiseaux s’affolent. Le vent se lève. Le murmure de la confidence reprend lentement. Il a la poitrine affaissée. Un goût métallique dans la bouche. Prendre de l’air est un effort constant. Il évoque une vague émotionnelle qui prend sa source en bas du ventre, remonte lentement. Le compagnon lui prend la main. Le roi se blottit. Il relève la tête, plonge son regard dans celui du compagnon. Un regard doux, un regard compréhensif, un regard heureux. Le roi va s’asseoir sur un lit, puis s’allonge au-dessus des couvertures. Il parle de plus en plus doucement, porte la main sur son ventre. Il dit que c’est là que la douleur se concentre. Le compagnon s’est assis près du roi. Il lui passe la main dans les cheveux. Le roi se déplace pour poser sa tête sur les jambes du compagnon qui lui dit qu’il restera avec lui s’il le souhaite. Le roi le remercie, et accepte. La nuit est profonde à présent. Le vent continue de souffler. La lune trône dans le ciel. Un ensemble d’étoiles forme un étrange triangle orange. Le compagnon murmure à l’oreille du roi qu’il aime se promener en forêt, qu’il sent dans ces moments-là qu’il appartient à quelque chose. L’été, parce que les températures le permettent, il y reste longuement. Il sent que le lieu est habité. Les feuilles et les brindilles au sol, les troncs arrachés, les marais, les profondes odeurs fraîches, tout lui parle. Il ne fait qu’écouter. Le roi demande au compagnon s’il l’emmènera dans ses forêts. Le compagnon sourit et lui dit que non, il ne l’emmènera pas, mais qu’il pourra aller s’y promener, seul. Chacun a sa propre forêt. C’est le lieu le plus intime qui existe. Mais il faudra qu’il fasse attention, car il y a des dangers. Partout, dans le monde, il y a des dangers. Un lieu sans danger n’existe pas. Les marins ici parlent de trous dans la plage, alors que l’on peut la voir s’étendre parfois sur plusieurs kilomètres, et marcher de jour sur l’estran comme étant déjà un peu dans la mer, mais la nuit, il y aurait des trous. Les marins disent qu’on ne les voit pas, mais que eux nous voient, comme s’ils étaient une partie du vivant, une partie du conscient, comme si quelque puissance extraordinaire invitait le corps à disparaître, comme si la nuit avait ce pouvoir que n’a pas le jour de mener jusqu’au bout le désespoir, au point où il serait irrésistible de céder au noir, de ne laisser aucune trace. C’est sans doute cette limite-là que l’on cherche. Son propre danger. Trouver le lieu où il semble possible de se dévoiler. Le silence s’installe à nouveau. Les mains caressent les corps dans la douceur de la nuit. Les pensées redeviennent individuelles. Chacun dans sa propre forêt. Le roi murmure qu’il connaît des lieux sans danger. Ce sont les lieux de l’imaginaire, contrôlés par la pensée. C’est là qu’il s’est fait roi. Qu’il a créé son compagnon, qui s’évapore.
Friday, September 30, 2016
Monday, September 26, 2016
L’intime rendu inaccessible
L’intime rendu inaccessible, fortifié, dompté, au cœur de la beauté, dissonance de l’âme, silences admis, aller sans retour, un pas de plus seulement, pour aider, pour s’aider, pour être là pour quelqu’un, ouvrir la porte, laisser entrer l’air, position incommode, continuer malgré tout, trouver la pulsion du renouveau, sans pause, sans heurt, sans malaise, sans contrainte, sans oubli de soi, se montrer entièrement, en confiance, puisque le temps est délimité, que les mots sont remplacés au fur et à mesure que la pensée s’inscrit, qu’il n’y a à présent qu’une seule émotion à transcrire, à adapter, à fusionner en un même corps pour faire naître l’individualité, la faire rayonner dans le flux continu d’une même vie, quand plus rien ne freine, plus rien n’empêche, que les chaînes sont rompues, esclave libéré, envol dans un ciel étoilé, fin de lune, fin d’un cycle, vécu comme l’aboutissement d’une force interne mise à profit pour sentir l’étendue de la nature de l’être sensible, creusé dans un tout désormais défini, proche de la plénitude, satisfait de sa propre existence.
Sunday, September 25, 2016
Claude Royet-Journoud
On se demande toujours pourquoi un poème se finit. Il existe quand on le reconnaît, comme on "reconnaît" un corps à la morgue. C'est une chose à la fois affreuse et étrange. C'est quand cela se détache. Tu reconnais quelque chose qui est absent, qui est soustrait au moment même où le poème est suffisamment anonyme pour que tu le signes.
Thursday, September 22, 2016
Cœurs ouverts
Cœurs ouverts de chaque côté, pour disperser l’énergie, la distribuer à l’inconnu, ou pour la concentrer, profiter des barrières franchies, du ralentissement de l’angoisse, un titre et le vide, ou un contenu sans titre, et tel un jugement de valeur, préférer se tourner vers le livre, vers la matière, vers le savoir être avec soi-même quand les événements de la vie continue ont mené à une nécessaire séparation, un nécessaire isolement, un repli non pas pour offrir plus, mais pour offrir mieux, un instant plus court mais plus dense, plus intense, plus précieux, de ceux qui resteront comme des points référents de ce qu’il est possible de partager alors que l’épuisement d’une autre réalité n’aurait fait que détruire la fragilité d’une illusion, d’un mensonge, battis sur le sable des non-dits parce que la vision déchéante est devenue insupportable, parce qu’il est trop tard, parce que le temps qu’il faudrait pour réparer n’est pas disponible, parce qu’il faut se consacrer à d’autres œuvres en cours, traitant du même sujet, las qu’il revienne à chaque page tournée, sous toutes ses formes, atrophié, amplifié, caricaturé, se faisant personnage dont il faudrait s’occuper constamment, remplir le vide de toutes ces heures perdues à ne rien faire qu’attendre qu’un avenir meilleur s’accomplisse comme si l’autre était seul responsable de l’apathie, comme s’il était devenu trop douloureux de s’arracher à sa propre condition pour échapper à ce qui sert d’oubli, pour s’élever dans la grâce d’une pleine conscience, s’avouant enfin n’être rien pour personne, pour vivre entièrement le rassurant détachement qui articule une saine création.
Sunday, September 18, 2016
Claude Royet-Journoud
Une extrême maladresse préside à tout cela. Je veux dire à l'élaboration d'une forme. Cette maladresse en est le cœur.
Friday, September 16, 2016
Robe sensuelle
Robe sensuelle, tissu couleur chair couvrant les bras, voile noir et léger sur le torse laissant deviner la sculpture ronde et fine des seins que tous les regards désirent, qu’ils soient femmes ou qu’ils soient hommes, volontairement discrets, captivés, capturés, comme si la présentation de la beauté se faisait unanime, douceur de l’éternelle divinité, s’élevant sur son char mythique, noble, sereine, les bras chargés d’enfants, faisant sens dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses paroles, forteresse de la neutralité, expression juste du bien, sur son passage, à sa vue, figeant l’émotion intégralement, cœurs transformés en rochers où vient fouetter la grande marée, gifler la vague, souffler un vent démesurément puissant, arrachant toute forme de vie, végétale, animale, eaux ruisselant dans les aspérités, violemment désolées de n’avoir plus qu’à se fondre dans l’immensité profonde d’un océan de larmes.
Monday, September 12, 2016
Au bout d’un pinceau fin
Au bout d’un pinceau fin, aquarelles bleues et roses, effet de flou, silhouettes fines, noires, comme des ombres allongées, semblant seulement observer, les unes à côtés des autres, ensemble, dans un même paysage, presque par hasard, d’une même famille, d’une même constitution, faites par un même artiste, assis sur un tabouret en tissu, depuis vingt ans, par tous les temps, ne faisant que deviner la foule plus ou moins dispersée qui circule derrière lui, s’arrêtant, photographiant, plongeant le regard le long des tracés courbes, s’étonnant en silence de la beauté des couleurs, du grain du papier, parcourant les autres toiles achevées, aimant l’une, puis l’autre, préférant tel format et, devant le prix, à cause de la pluie, se détournant presque honteuse de n'en pouvoir emporter qu’un souvenir imprécis.
Sunday, September 11, 2016
Christophe Manon
NOS CORPS sont devenus
syntaxe il nous faut déchiffrer la physique
des rêves notre conscience est-elle autre chose
qu'une banderole de brume et de silence pendant
les grandes poussées de gel un portrait de sang sur la neige qui
fond à la lumière
du jour ne sommes-nous pas
éleveurs de poussière gardiens d'une parole fidèle contagieuse et
qui prolifère n'avons-nous pas
vive et tenace la passion du réel imprenable
est notre forteresse longtemps
nous avons lutté longtemps
nous sommes restés debout guettant
dans le mugissement de la masse poreuse du temps le bruit
qu'il fait et comme il se déchaîne comme il
déploie sa science.
Thursday, September 8, 2016
Le premier immense effort vers la fin
Le premier immense effort vers la fin, où tout se réalise, avant le jugement implacable du dogme, du code, ce qui empêche de créer, parce que la beauté ne pourrait se dire, simplement, regardant le dernier quartier de lune, seul, haut dans le ciel, en plein jour, confondant l’idée reçue qu’il y aurait un astre pour chaque côté de la terre quand il n’y a qu’une puissance vive et une puissance réactive, lien entre l’omniscience et la permanence, où la rupture n’est plus possible, fondant, enchaînant tous les éléments à un seul système devenu proposition comme une autre, un choix, l’expression de la nature de l’être, paisible, continu, ne faisant qu’évoluer dans la lenteur pour donner un sens à l’action, une singularité, produire de la volonté et se faire conquérant d’un propre savoir, d’un amour retrouvé dans les sueurs de l’été à ne plus rien faire qu’attendre que le temps du présent se nourrisse de toutes les sensations inscrites en profondeur dans la vie.
Sunday, September 4, 2016
De l’air pur emmagasiné
De l’air pur emmagasiné pour un nouveau cycle, dans la lenteur de la transformation, non plus mutation ni métamorphose, quelques traits seulement, un visage, la longueur de la chevelure, l’âge d’une première ride, regard tourné de l’autre côté, comme endeuillé, portant tout ce qui ne se dira plus, plaisir rare de l’intime silence où la volonté d’être s’inscrit, supérieure, rendue inaccessible, assumant qu’il est temps d’être sévère avec la croyance infondée, malgré le temps qu’il reste à la rendre active, selon un cumul de hasards, une série d’heures communes, qui pourraient se confondre avec un besoin de partage alors que des intentions diamétralement opposées se sont juste rencontrées dans un lieu où pour l’un il s’agissait de fuir la solitude, pour l’autre, l’habiter protégé par l’activité constante de l’écriture de soi.
Subscribe to:
Posts (Atom)