Wednesday, November 11, 2020

Chroniques de l'invisible - 311

Baptiste. C’est un peu son histoire finalement. Toujours sérieux avec tout ce qu’il entreprend. Il y avait bien eu quelques signes précurseurs. Il n’y a qu’à voir sa photo de communiant. Un ange descendu sur terre aux côtés d’une marraine qu’il s’était choisie, qu’il appelait Ma Reine, et de son parrain de baptême également parrain de son père. Une tradition dans les familles nombreuses. L’aîné était le parrain d’un plus jeune. Le père avait choisi un autre parrain pour l’aîné de Baptiste, celui de ses frères qui porte le nom de son père. L’aîné de Baptiste porte déjà le nom du père de sa mère. Des noms que l’on donne par tradition, par respect, qui inscrivent le destin d’un être qui n’a rien demandé. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. Baptiste. Sa première venue à Notre Dame de Lourdes. Il était resté une heure à prier, revenu plein de bijoux de pacotille à l’effigie de Bernadette. Sans doute ce qui l’a le plus troublé en prenant le chapelet qu’un passant sortant du tramway avait ramassé au sol et accroché à un arbre comme on le fait souvent avec les objets trouvés au sol pour que la personne qui l’a perdu le retrouve si elle repasse sur ce chemin. Ce n’était pas un vol. Le chapelet était perdu. Il aurait pu finir à la poubelle ou finir blasphémé. Baptiste répondait à son désir qui venait de naître. Il me faut un chapelet. Il s’était déjà bien renseigné. Il était prêt mais n’osait pas entrer dans un magasin religieux. La prière lui avait plu. À Saint Pattern. Vannes. Il y était venu pour deux raisons. D’abord, visiter un magasin dit ésotérique où il était sûr qu’il allait trouver des cartes de tarot. Puis aller dans cette église consacrée à l’un des sept saints fondateurs du culte orthodoxe de Bretagne. Il voulait voir la statue de Tugdual. À Saint Pattern, c’était l’heure du chapelet. On rit parfois de cette bonne vieille pénitence : vous me ferez trois Notre Père et dix Je vous salue Marie. L’entendre, c’est tout autre chose. Au bord du chant, l’assemblée récitait. Une voix d’enfant entonnait chaque début de prière. Dix Ave Maria. Puis encore dix. Puis encore dix. Ponctués de Pater Noster et par l’annonce de mystères. Un bouleversement. D’autant que Baptiste s’était refusé d’assister à la messe du monastère de Saint-Dolay, dans le bois sacré. Les sœurs vêtues de noir hurlaient sur les fidèles. Il fallait retire ses chaussures à l’entrée. Il était parti. Là, on lui offrait. Un direct. Il se renseignerait de retour à Paris, et il s’était renseigné. Deuxième chapelet auquel il assiste par hasard. Notre Dame de Clignancourt. Il y va souvent tellement il trouve belle la chapelle de la Vierge. Les fidèles arrivaient. On distribuait de quoi ne pas être égaré. Sortir aurait été impoli. C’était très différent de Saint Pattern. Plus directif. L’animatrice incitait chaque présent à prendre en charge un cycle entier par une simple « Notre Père » lancé après la lecture d’un mystère. Quelqu’un se décidait. C’était aussi très émouvant. D’entendre la voix de chacun, fragile ou lente, faible, si singulière, la voix unique qui en son timbre prenait corps. Je ne pourrai jamais faire cela. Réciter avec les autres. Faire avec et comme tout le monde. D’autant que ce qui me plaît, c’est le Sanctum Rosarium, le latin, la langue éducative pour apprendre ce qu’il y avait avant la traduction, ce que cela pouvait provoquer d’aller dans une langue étrangère mais aussi racine d’une très grande partie de ce que je suis. Il faudrait connaître les prières par cœur. Pour l’Ave Maria, cela avait été facile. Le Pater Noster avait un peu plus résisté. Il l’avait appris sur la plage de Dieppe au lever du soleil. Les falaises effondrées. Et pour y arriver, il s’était mis à chanter, à créer une mélodie pour aider la mémoire. C’est son Pater Noster. Qu’il chante aux offices. Qu’il se récite pour son propre chapelet quotidien. Le chapelet trouvé avait procuré son effet. Il s’y était attelé avec rigueur, recopiant chaque prière, chaque mystère, en latin, le récitant plusieurs fois sans trop savoir ce que cela allait provoquer. Une première certitude. Qu’il lui fallait un chapelet à lui, un chapelet qu’il aurait choisi. Internet d’abord. Des images et des prix. Des endroits où il peut en trouver. Près de chez lui. On ne choisit pas un chapelet avec une simple photo. Il veut que ce ne soit pas très loin de chez lui. Que ce soit accessible à pied. C’est trop loin, il n’ira pas. Une librairie peut-être. Il ne pourra pas entrer pour demander. Une bijouterie. Il faudrait voir depuis la vitrine. Ça ne va pas. Ce n’est pas ça. Il marche longtemps. Puis il le voit. Ce qui se voit un jour, tout à coup. Presque au coin de sa rue. Plutôt au bord de son quartier. Il y en a plein. Il les voit suspendus au-dessus de la caisse. Magasin fourre-tout, petit, les clients entassés. Il n’ose pas entrer. Il faudrait du temps. Il ne peut pas juste dire « je veux celui-ci ». Il tourne en rond sur le trottoir. Tant pis. Ce n’est pas là. Son chapelet n’est certainement pas suspendu comme on pend de la viande dans une boucherie. Il va vers un autre magasin qu’il sait pas très loin. Trop de monde devant. Il faudrait attendre. Alors, il pense à la basilique. Il y était la veille pour demander des livres latin-français, des prières, des textes. Des outils pour travailler. Il n’y en avait pas. La basilique. Cette drôle de bâtisse qu’il a longtemps contournée, paradoxe des temps anciens, de ce quartier où fut établie puis massacrée la Commune. L’édifice le mieux place de Paris, dans le vent, au présent, un sanctuaire. La boutique de la basilique est ouverte. Ce qui se voit un jour, tout à coup. Ils sont là. Dans la vitrine du comptoir de caisse. Il prend le temps d’évaluer les prix, de sentir les couleurs. Son chapelet est là, noir comme la bague qu’il a ramenée de Guérande. Il l’achète. La femme qui tient la boutique engage la conversation. Longuement. Je prierai. Il faut prier. Prier pour toutes ces incertitudes. On ne sait pas pour ce soir, pour demain. Je l’écoute, lui répond. J’ouvre le chapelet dans la basilique. Il est mien déjà. Je veux rester avec lui. La chapelle de la Vierge. J’y reste longtemps. Je ne connais pas encore tout par cœur. Le temps de consacrer peut-être. Je découvre sur la médaille qu’il y a ici une adoration eucharistique permanente, de jour comme de nuit. Cela m’impressionne. Je me passe le chapelet autour du cou. Je l’aime infiniment. Je retourne chez moi pour son premier Sanctum Rosarium complet.

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