27 mars. Voici quelque temps que dans les parages du campement, une plante extraordinaire m'intrigue.
Le géographe, qui a de solides connaissances dans les sciences de la nature, m'explique qu'en fait c'est la fleur, uniquement la fleur qui est exceptionnelle, même si la plante est rarissime. Regardez-là bien, dit-il, et nous la considérons en silence. Cela fait des années qu'elle est en gestation. Combien ? Je l'ignore. Mais dès qu'elle sera parfaitement épanouie, elle emportera la plante dans la mort. Puis notre silence se prolonge. J'observe cette fleur en chantier. Le géographe ignore le nom de la plante et moi, je m'en moque. Elle me semble belle à toute heure, mais je la préfère le soir ; je dois lui vouer un respect profond pour rester là si longtemps, chaque fois. Souffrez que je m'attarde un peu sur elle. Imaginez-vous que notre Cervantès soit mort juste après avoir terminé le dernier chapitre de son Quichotte ? La plante, elle, ne sait pas ce qui l'attend lorsqu'elle en aura fini de son chef-d'œuvre. C'est là le plus beau ! Elle ne sait pas quand il sera achevé. J'ignore si la plante a conscience de sa propre existence et se sait mortelle. Si c'est le cas, elle doit pressentir qu'elle mourra pavillon haut, dépérira lentement, lentement.