C'était une amitié facile, aux traits parfois tirés, certes, à la démarche un peu bancale, comme si aller de pair n'allait pas toujours de soi, y tendait seulement, à force d'ajustements, et jamais ils ne se touchaient, jamais ils ne déduisaient d'un contact autre chose que la valeur retenue du hasard, mais le plaisir qu'ils prenaient et reprenaient à se parler, à laisser leurs voix faire ce que leurs corps s'abstenaient d'essayer, ce plaisir était aussi réel que la brûlure du café sur le bout de la langue ou l'anse de la tasse que leur index explorait, rêveusement.
Sunday, November 17, 2013
Danielle Collobert
Ta violence contre moi encore une fois. Tu viens me prendre, toi devant, mon bras passé sur ton épaule, tu tires des deux mains, je sens la force au poignet, je me dégage de la glu — ton dos tout courbé presque plié en deux. Je voudrais t'aider, me faire léger, ouvrir les ailes, mais pas de décision, je n'ose pas, je retiens de toutes mes forces mon rythme, tu ne pourras rien contre ça, même agile et fort. Maintenant la force qui te reste ne vient que des bras, ton pas commence à suivre le mien, à s'habituer — tu vas être pris. Je voudrais te crier de partir, de me laisser là, te prévenir de ton épuisement, t'éviter le piège, mais je ne le désire pas vraiment, je me réjouis là de ta défaite, je veux saisir le beau moment de ta chute. Elle vient, je sens, tu plies déjà un peu plus — les veines de ton cou sont gonflées par l'effort, je les vois dessiner les deux courbes jusqu'à l'oreille. Autour de mon poignet ta force se dilue — tu ne me tires plus vers l'avant, tu serres seulement, tu t'accroches même. Mon visage dans ton cou, au creux de l'épaule, j'entends se ralentir ton souffle, très profond, très bas, tu penches vers la rue — la tête s'approche du sol peu à peu — tu vas basculer sur l'angle du trottoir, tu vas rouler sur le bord de la rue. L'eau sale qui descend se brise sur ton corps en petits éclats. Un morceau de papier blanc et une peau d'orange s'arrêtent dans tes cheveux. Je me penche au-dessus de toi. Je fais des signes. J'appelle.
Tuesday, November 5, 2013
Danielle Collobert
Le monde crie, ce monde-ci, le monde maintenant, au-delà des murs des chambres chaudes, au-delà de nous liés. A travers les voix revient le grondement plus fort, plus puissant pour nous envahir. Appeler ta force pour supporter, te sortir de la douceur, t'apporter la dureté cruelle latente autour de nous. Qui se suicide. Qui se sépare. Toi et moi arrachés. Capitule, vivante encore. Je suis entre le tremblement désespéré et l'apaisement qui plane, éloigné, silencieux. Entraîné de l'un à l'autre par la peur.
Monday, October 28, 2013
Recorded mistakes
A newsletter which was supposed to announce a 4:55 pm broadcasted recording has been sent at only 7:28 pm to our mailing list. That is two thousands and thirteen minutes late if just the beginning of the radio timetable is considered.
- No advertisement for our CD released since September 2013.
- No advertisement for our next concert (scheduled in Paris on November 30th, 2013).
- No link to our reservations@our_domain.net address which is the only way to book for all the concerts that the ensemble entirely produces.
- No link to buy our last CD, and all of our products on the WEB.
- No link to subscribe to our newsletter via an @our_domain.net address.
- No links to our soundcloud and facebook accounts.
Sunday, September 29, 2013
Coup de foudre sur l'abbaye
Lorsque la foudre tombe sur l’abbaye, que toute la soirée prévue par les organisateurs nécessite quelques ajustements, parce qu’il n’y a plus d’électricité dans toute la “petite” commune d’à côté (celle qu’on rattache administrativement aux poubelles, à la voirie, aux AXES de circulation ou d’expulsion - les célèbres grandes banlieues), le thème des bougies du XVIIIe siècle refait miraculeusement son apparition et reconvoque le saltimbanque perruqué pour égayer les nouveaux salons mondains de notre siècle.
Ils n’ont pas mangé, ils ont eu des conditions de travail épouvantables (répétitions reportées jusqu’au soir tard - aucunes conditions réelles de travail avant l’heure H, ici : trois, parfois cinq heures plus tard), ils ont eu pour loge leur chambre d’hôtel les obligeant à travailler là en dehors des heures de sieste des touristes (uniquement possible pour les instruments non bruyants), rien n’était prêt, mais la Direction demande tout de même aux musiciens de sauver le spectacle pour permettre à la PRODUCTION de ne subir aucune demande de remboursement.
Une partie du public mangeant devant des saltimbanques ; une autre mise en attente en musique au réfectoire, au fond de l’église, dans les greniers. Une actrice affublée d’une perruque grotesque (celle qui fut si belle à la création presque deux siècles plus tôt, quand tous les metteurs en scène étaient jeunes), des poèmes romantiques, de la musique de chambre et des solistes, des apéritifs, des digestifs musicaux.
Le public est immédiatement parqué dans l’église, minutieusement trié pour expulser ceux qui n’avaient pas choisi la formule “REPAS + CONCERT”, puis redistribué dans un programme allégé. Plus de traiteurs après vingt-trois heures. Le public doit avant tout MANGER. Il va falloir en faire patienter une partie.
Aucun de ces publics dispatchés (celui qui attend, celui qui mange, celui qui a mangé) ne doit se croiser dans l’abbaye, et chacun d’eux doit se sentir privilégié, c’est-à-dire : avoir l'impression d'avoir choisi la bonne formule.
Aucun de ces publics dispatchés (celui qui attend, celui qui mange, celui qui a mangé) ne doit se croiser dans l’abbaye, et chacun d’eux doit se sentir privilégié, c’est-à-dire : avoir l'impression d'avoir choisi la bonne formule.
On soufflera sur les poussières, on allumera les minuscules lampes à piles éclairant mal les pupitres, les musiciens enfileront leur costume dans un couloir, fouilleront dans leur valise, se laveront en vitesse dans les chiottes publiques : ils seront prêts dans un quart d’heure, promet le Directeur. On tolère un retard à celle qui dormait encore dans son hôtel, et à qui on autorise de prendre une rapide douche, mais on lui signifie qu’à cause d’elle, une partie du public ne pourra pas la voir, et ne sera pas content, et qu’une première équipe de musiciens commencera sans elle. Elle n’aura donc qu’un maigre repas déposé au comptoir de la boutique, les végétariens auront les restes de salade bourrés d’olives, les musiciens qui reprennent la route auront droit à une bouteille d’eau et au reste du catering des actrices. Une assiette de pâtes pleine d’eau entre deux représentations, si l’une d’entre elles manque de s’évanouir.
Trois musicens rentrent en voiture le soir même. Trois autres dans un camion de location (qu’il faut soi-même aller chercher et rapporter). Tous les frais de bouche sont avancés par les musiciens, et le repas balancé entre deux représentations, ainsi que les restes de salade, sont considérés comme des plateaux-repas à emporter. Il n’y a pas de remboursement de frais les soirs de concert. Et si vous voulez une voiture de location pour faire dépenser moins d’argent à l’association, faites comme bon vous semble et illusionnez-vous : MOI, je rentre en train, décide le Directeur.
Labels:
@rycholiver.org,
conditions de travail
Location:
Paris, France
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