Lorsque la foudre tombe sur l’abbaye, que toute la soirée prévue par les organisateurs nécessite quelques ajustements, parce qu’il n’y a plus d’électricité dans toute la “petite” commune d’à côté (celle qu’on rattache administrativement aux poubelles, à la voirie, aux AXES de circulation ou d’expulsion - les célèbres grandes banlieues), le thème des bougies du XVIIIe siècle refait miraculeusement son apparition et reconvoque le saltimbanque perruqué pour égayer les nouveaux salons mondains de notre siècle.
Ils n’ont pas mangé, ils ont eu des conditions de travail épouvantables (répétitions reportées jusqu’au soir tard - aucunes conditions réelles de travail avant l’heure H, ici : trois, parfois cinq heures plus tard), ils ont eu pour loge leur chambre d’hôtel les obligeant à travailler là en dehors des heures de sieste des touristes (uniquement possible pour les instruments non bruyants), rien n’était prêt, mais la Direction demande tout de même aux musiciens de sauver le spectacle pour permettre à la PRODUCTION de ne subir aucune demande de remboursement.
Une partie du public mangeant devant des saltimbanques ; une autre mise en attente en musique au réfectoire, au fond de l’église, dans les greniers. Une actrice affublée d’une perruque grotesque (celle qui fut si belle à la création presque deux siècles plus tôt, quand tous les metteurs en scène étaient jeunes), des poèmes romantiques, de la musique de chambre et des solistes, des apéritifs, des digestifs musicaux.
Le public est immédiatement parqué dans l’église, minutieusement trié pour expulser ceux qui n’avaient pas choisi la formule “REPAS + CONCERT”, puis redistribué dans un programme allégé. Plus de traiteurs après vingt-trois heures. Le public doit avant tout MANGER. Il va falloir en faire patienter une partie.
Aucun de ces publics dispatchés (celui qui attend, celui qui mange, celui qui a mangé) ne doit se croiser dans l’abbaye, et chacun d’eux doit se sentir privilégié, c’est-à-dire : avoir l'impression d'avoir choisi la bonne formule.
Aucun de ces publics dispatchés (celui qui attend, celui qui mange, celui qui a mangé) ne doit se croiser dans l’abbaye, et chacun d’eux doit se sentir privilégié, c’est-à-dire : avoir l'impression d'avoir choisi la bonne formule.
On soufflera sur les poussières, on allumera les minuscules lampes à piles éclairant mal les pupitres, les musiciens enfileront leur costume dans un couloir, fouilleront dans leur valise, se laveront en vitesse dans les chiottes publiques : ils seront prêts dans un quart d’heure, promet le Directeur. On tolère un retard à celle qui dormait encore dans son hôtel, et à qui on autorise de prendre une rapide douche, mais on lui signifie qu’à cause d’elle, une partie du public ne pourra pas la voir, et ne sera pas content, et qu’une première équipe de musiciens commencera sans elle. Elle n’aura donc qu’un maigre repas déposé au comptoir de la boutique, les végétariens auront les restes de salade bourrés d’olives, les musiciens qui reprennent la route auront droit à une bouteille d’eau et au reste du catering des actrices. Une assiette de pâtes pleine d’eau entre deux représentations, si l’une d’entre elles manque de s’évanouir.
Trois musicens rentrent en voiture le soir même. Trois autres dans un camion de location (qu’il faut soi-même aller chercher et rapporter). Tous les frais de bouche sont avancés par les musiciens, et le repas balancé entre deux représentations, ainsi que les restes de salade, sont considérés comme des plateaux-repas à emporter. Il n’y a pas de remboursement de frais les soirs de concert. Et si vous voulez une voiture de location pour faire dépenser moins d’argent à l’association, faites comme bon vous semble et illusionnez-vous : MOI, je rentre en train, décide le Directeur.