Nous agissons quelquefois sans savoir pourquoi. Ensuite nous sommes étonnés de ce que nous avons fait. Nous pouvons aussi être effrayés. Mais de l’étonnement ou de la peur se dégage une explication de cet acte. Il doit en être ainsi, car l’inexpliqué nous emplit d’une angoisse que nous n’avons pas la force de supporter longtemps. Mais quand l’explication est pensée ou exprimée, nous avons déjà oublié qu’elle est venue après coup, que l’acte est premier. Si nous l’oublions définitivement, parce que l’explication est en accord avec l’acte, c’est parfait. Il arrive pourtant que ce ne soit pas parfait. Il en est ainsi lorsque soudain nous découvrons que l’explication qui nous était donnée est mensongère, que celle-ci, quand les conséquences de l’acte se sont éclaircies à la lumière de tout ce qui est arrivé par la suite, se trouve être un faux selon ce que nous visions au fond de nous-même en agissant ainsi. C’est alors que nous éprouvons une véritable angoisse. Car celle-ci c’est de ne pouvoir se fier à ses propres pensées quand elles sont seules, c’est de savoir que nos pensées mentent, bien que nous soyons nous-même sincère.
LE BLOG D'OLIVER RYCH
Sunday, March 3, 2024
Sunday, September 25, 2022
Gaëlle Obiégly
Comparés à mes cahiers, les livres que je conçois me semblent dérisoires.
C’est pour ça que la plupart du temps, je les supprime. Ils font écran à ce
qui s’écrit brutalement, par à-coups mais sans rupture et qui n’est pas
montrable. Car si je le montrais cela deviendrait un livre et tout ce que je
pourrais écrire à la suite de cette exposition serait sali. Sali n’est pas le
mot juste. Quand je fais un roman, je désinfecte mon écriture. Je lui donne un
goût de menthe. J’ôte les odeurs corporelles, toute trace de moi. Pour cela
je produis un je intermédiaire, c’est celui de l’écriture, le
je mythologique. Mytho, quoi. Il est plus durable que ma personne au
jour le jour. C’est comme ça, ce n’est pas moi qui l’ai décidé : la
fiction dure plus longtemps que les faits. Celle qui vous parle ici et
maintenant s’offre une longévité qui dépasse largement l’espérance de vie
d’une Occidentale actuelle.
N'importe qui cherche à donner forme à sa vie,
parfois en s’enrôlant dans l’armée, en se portant volontaire pour les tests de
vaccins. L’écriture est une autre façon de se façonner une vie. Si je fais un
livre, je m’efforce de faire disparaître les traces de moi, de mon moi
périssable. Peut-être comme un malfaiteur après avoir commis un délit. Quand
je fais mon cahier, je ne dissimule rien. Aucune police n’est à mes trousses,
d’ailleurs. La personne qui va trouver mes cahiers n’aura pas envie de les
lire, parions. Il y en a tellement que c’est décourageant. Ce n’est pas du
tout écrit comme la littérature historiquement advenue. Ce n’est pas
spécialement intéressant. Distrayant, encore moins. Et plus problématique,
c’est plein de cruautés, de débâcles et d’allergies, d’infectes histoires de
lit.
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Gaëlle Obiégly
Wednesday, August 31, 2022
Jane Sautière
Toute cette vie passée dans la fumée du rêve. Ne se souvenir de rien, si invraisemblablement peu. Cette absence de mémoire est aussi une absence d’attention, un défaut de présence au monde. Je me dis, c’est par le corps qu’il faut chercher, ce qu’il a composté de nos gestes, les frissons de la peau, les lits du sommeil, les lampes de chevet, les armoires, la forme d’une clef ; ce que les yeux ont saisi de la mer insensée, de la laitance de la lune, de la couleur d’une chevelure ; ce que la bouche a gardé et des figues et des pêches et de l’amer et du vin et des baisers. Et des longanes mangés à Takmao, là où était l’hôpital psychiatrique, je ne sais vraiment pas ce que je faisais là-bas, mais les longanes sont encore présents, leur arrière-goût d’éther, leur noyau gros, noir et lisse dans la bouche, comme un globe oculaire. Tout ce qui reste du battement du corps amoureux, des spasmes orgasmiques, des chansons, oreilles et gorge. Le coffre du corps, il faudrait l’ouvrir.
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Jane Sautière
Friday, May 28, 2021
Jacques Abeille
J’essayais dans ma tête de raccorder les épisodes dont j’avais encore à tracer le récit, ou bien je m’efforçais de déchiffrer des correspondances dont le fil me semblait courir sous la suite de mes aventures et se dérober à toutes mes tentatives pour le saisir ; j’allais même parfois jusqu’à me figurer le livre achevé et à spéculer sur le sort qui pourrait être le sien dans le monde. Mais la pente la plus constante de mes réflexions me ramenait à un unique et insoluble problème. Je sentais le désir de doter ce que j’écrivais d’une épaisseur ; je ne voulais pas qu’il fût l’impression ou la matérialisation d’un discours tout uniment filé, mais qu’on y sente l’ombre, la résonance, l’opacité énigmatique d’une chose. Or, je ne pouvais me résoudre à aucun artifice en faveur de cette exigence dont j’ignorais le fondement. Ce refus de mise en œuvre me venait peut-être de ma grande paresse naturelle qui me poussait à me contenter, en ce qui concerne la qualité de mes récits, de vœux pieux. Il me venait surtout, me semblait-il, du sentiment très puissant qu’une vérité dévorante et insatiable était là en mouvement, sur laquelle je n’avais aucun droit. Ainsi me trouvais-je condamné à brasser des exigences paradoxales auxquelles rien ne me permettait de satisfaire et je ne souffrais aucunement de leur incessant retour parmi mes pensées car celui-ci m’apparaissait toujours comme un état fécond. Au reste, lorsque, l’après-midi, je me retrouvais seul face au papier, ces rêves se dissipaient tout à fait pour ne laisser place qu’à un durable et sautillant bruissement de plume. J’en vins à les considérer comme une sorte de tissu neutre qui n’entrait aucunement comme constituant dans la tâche qui m’absorbait mais dont la fonction était de me protéger de leur feutrage en m’isolant de tout. C’était comme une rumeur nécessaire à un certain silence. Et alors, vraiment, rien ne pouvait plus m’atteindre.
Wednesday, April 7, 2021
Nicole Caligaris
La clarté commence à ras de terre, la leur était bleue, ils y avaient cru. Ils étaient partis, dans ce paysage de sable et de cailloux, comme ils étaient, sans chaussures dignes de ce nom, épuisés, sans emporter à boire. Ils avaient aperçu les points flous des 4 x 4 de la compagnie minière. La brigade. Les hommes de sécurité parcouraient la voie ferrée. Ils avaient suivi le cap. Ils s’étaient postés pas loin des rails. Quand ils avaient entendu venir le train, ils avaient démarré, avec leurs claquettes aux pieds, l’un derrière l’autre, ils s’étaient mis à courir, noirs encore, chauds, lancés par leur noyau en fusion, alors que leurs membres n’en pouvaient plus, que la course les pliait en deux, qu’elle leur pinçait les narines pour en aspirer le dernier souffle, qu’elle leur faisait remonter leur fil jusqu’au va-tout de son origine, jusqu’à l’instant de leur naissance, de leur chute dans l’atmosphère, de l’apnée et de la toux d’apocalypse qui allait avec, ils avaient attrapé le train de la compagnie minière, sans doute que la nuit avait flanché un instant, que le ciel à peine fait les avait désirés pour de bon, à ce moment-là, assez proche encore de ses minuscules drageons pour les arracher des cailloux, au moyen de leurs propres cuisses qui avaient trouvé la dernière force de faire le bond, de leurs propres bras dont les poings s’étaient accrochés aux échelons du wagon et qui avaient réussi à tracter leurs quarante kilos d’homme à bout, pendant que la brigade qui devait revenir n’en était pas encore à cette cote de la ligne, c’était par ce coup impossible que le ciel les avait portés, qu’il les avait allongés, sur le chargement de bauxite, contre sa propre peau et c’est là, imprégnés de minerai rouge, secoués comme des jujubes, roulant vers leurs prochaines minutes dont rien n’indiquait la durée, que la mort leur était sortie du ventre, par un rire pyrotechnique, flambant le feu, soufflant le soufre, et c’était dans ce rire que leur œuf à deux germes avait pris, avec à l’intérieur son centre divisible, son ballot de matières, ses hélices, ses mailles, son modèle à deux cœurs dont pas un ne serait sauvable mais qui pompaient, à cette minute, le même pa-poum.
Thursday, April 1, 2021
Chroniques de l'invisible - 452
Ce n’est pourtant pas aussi simple qu’une tacite reconduction. Ou pour toute la vie. Imagine, un jour. Tout simplement. On se détourne. On n’y pense pas vraiment. Ah tiens oui ce n’est plus là. Je te dis que c’était rouge avant. Des bribes. Des jours qui passent devenus jours passés. Tous les protagonistes, regards gênés. On a beau le savoir. On a beau s’y attendre. Ça fait son effet. Jamais véritablement le même. On en est là. On est là. Il aurait pu nous passer un petit coup de fil. Tendus à présent, à devoir expliquer, dans cet univers où chaque bâtiment, chaque tour, le moindre trottoir, au loin des champs, pas si loin, une place, naturellement, sinon on ne peut pas se retrouver. Il suffit de quelques détails, l’image incrustée au coin de la pensée. L’entre-deux, comment dire, prolongé. Ce petit air de découverte envahissant l’expression. Il est si heureux. Il ne veut plus partir. Cette fois, c’est plus difficile. Habituellement on y pose des options. Je pense assez spontanément : on verra bien. Je demande : qu’est-ce qu’il y a ? De la tristesse. Et quoi de nouveau ? De la résignation. Constater. La réalité. Ce sera « l’en travaux », oui, plus long que prévu. Un lourd dossier est arrivé hier. Certainement criminel. C’est toujours criminel avec lui. Il contient l’étape importante. Pour l’intrigue, essentiel. On dira : ah c’est pour ça ! Terrible. Ces vagues qui toutes annoncent, dénoncent, renforcent, détruisent. Je pense à « tous ces avrils de ma vie », à toutes ces traversées. Il n’est pas temps de tout relier. Plus que jamais, les Nornes relancent la corde d’or. Même si j’aime quand il manque des mots. C’est si beau de le voir se baigner dans le plaisir. Je lui donne, je ne peux pas m’en empêcher, c’est sans doute cela, pour ces quelques minutes d’intensité, je dois lui dire, l’émotion est si forte, il ne saisit pas, il y a un point final, la corde d’or, ça commence par « c’est terrible », je veux que cela s’imprime en lui, dans sa propre difficulté, lorsqu’il plongera son regard dans le paysage où rien ne semble bousculé, je veux qu’il m’emporte, qu’il emporte cela de moi, de toute évidence, il n’a jamais entendu une telle révélation, de cette manière, « si l’on se reverra un jour ».
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Wednesday, March 31, 2021
Chroniques de l'invisible - 451
Ça passe par là, des images furtives d’une part, tenaces de l’autre, à croire qu’ils ont tous lu le même manuel d’exclusion, à moins que ce ne soit moi, à la fois comment veux-tu que je supporte une chose pareille, que je participe, c’est hors de mon champ de vision. C’est toujours une question de ton, le ton qui gère, le ton à qui on ne la fait pas, qui appelle les puissants, qui donne son avis. Pour arriver de n’importe où à n’importe quel moment. Un geste suffit et tout s’applique. Entouré de caméras. Cinéma de l’ombre. Et la liste défile, ça défile à longueur de temps, les dissonances telles entre les discours que l’un efface l’autre, c’est ce qu’il croit, plutôt que de mettre en débat, de toute façon il faut bien que quelqu’un décide, autant commencer par la décision, cette petite porte d’entrée, ce rappel incessant, motif presque d’une raison d’être, nous on passe le reste du temps à réparer, cette blessure dans le corps, invisible, inaudible, mots échappés, mots contournés, tellement porteurs de sens. Un brouillon de nous-mêmes, réitéré. Ce qui est fantastique, c’est le décalage, qui se traduit par ce qui nous vient immédiatement lorsque tout continue de dériver. Ce pourrait être cela, finalement : traduire en langage littéraire, en outil littéraire, ce qui tente de se reproduire de l’autre côté. En face. Avec un décalage, donc, très léger, évoquant peu mais bien (nos services sont au taquet). Cette technique a été élaborée dans les temps anciens. À l’époque, il fallait quinze moines et trois chevaux. Ça ne rend pas l’exercice plus aisé car nous avons toujours conscience de notre effectivité. J’allais dire : nous aussi. Nous autres. Ceux qui sont censés appliquer bien sagement. Ce n’est pas cela, l’actualité. L’actualité, c’est ce que cela provoque dans le corps lorsque le discours nous semble grossièrement emphatique. On se souvient du « Nous tous. Nous. Tous ensemble. », au milieu de la page, de la parole qui ne sera jamais volée. Ce que cela traduisait à l’époque, c’est que rien n’avait réussi à nous retirer (encore) notre pouvoir de tout changer, de changer la donne, de tout renverser. Pour y parvenir, je n’ai rien modifié : même combat. On ne dévoile pas la stratégie et on continue d’agir. Seulement, voilà : aujourd’hui, c’est très légèrement différent. C’est possiblement immédiat. Oh, allez-y, fouillez. Content même que l’on se retrouve face à face. Le même constat. A priori, rien à se dire. Le seul lieu où l’on ne peut formuler aucun regret. Désolé, mais je viens à nouveau tracer au même endroit comme on marque un territoire en urinant. J’ai vu ainsi passer des guerres, des lieux, le strict nécessaire. Pas de détour. Droit au but.
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Tuesday, March 30, 2021
Chroniques de l'invisible - 450
Cet exercice-là pour lequel je n’ai jamais préparé personne n’a pas vocation à tirer des conclusions, mais plutôt à maintenir l’axe réflexif en tension en sollicitant la mémoire qui s’accommode assez aisément des trous pour structurer un arrangement offrant aux versions que l’on se raconte une bonne tenue. Si je prends tout cela au pied de la lettre, c’est un peu comme un permanent retour de vacances. On redécouvre le décor. On imagine que les objets n’ont pas bougé de place. Et pourtant, on ne reconnaît rien. Cela me fait dire que ce qu’il y a de vie en nous n’est pas très exactement calé sur les mouvements qu’on suppose merveilleusement réglés. Côté sensations fortes, on a été servi. Une véritable purge. C’est qu’il y en avait à passer. Tout se met magiquement en suspens, puis c’est l’éveil. Ça circule. Il faut que ça sorte. C’est sorti. J’ai bien cru ne pas réussir à en venir à bout. Commission d’urgence. Pas de hurlement. Plutôt calme. OK. La situation n’est pas pour me déplaire. Je sais qu’il y a un ordre. Tout se met en ordre. L’opération est délicate. À cause d’une stupide deadline avec de stupides critères. Grille de lecture. C’est la seule solution. La seule pour cette fois. Faire résonner les mots peut-être. Responsabilité. Il n’y aurait plus qu’à vider. Si ce n’était pas si dangereux, je n’aurais pas tout codé, dès le début. Infranchissable. La clé d’un plaisir constant.
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Monday, March 29, 2021
Chroniques de l'invisible - 449
J’aime bien la plan « analyse des données », pour la première fois « à cheval ». Tiens, y’avait longtemps (pas si longtemps) que je n’avais pas mis en place une stratégie pour déjouer l’esprit. Oui, on fera quelque chose d’automatique, et surtout de systématique. Comme ça, pas besoin de réfléchir. Tous les jours, paf. Tous les jours, paf. Ça tombe. On se met en quatre pour que ce soit fait. Transport des archives. Quand justement cela n’a plus rien à voir, qu’il s’agit de ne pas essayer de plier le temps en quatre. La joie simple de la nouvelle ère. Les ordres. Laissez tout en plan. Surtout les gros dossiers. On s’en fout.
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Sunday, March 28, 2021
Chroniques de l'invisible - 448
Puisque tout est parti de la notion d’ascendance, de ce jour où je m’étais dit : « c’est une manière d’isoler mais pour mieux tout voir et mieux ressentir », avec ce qui comble tant, si heureux, admiratif aussi, c’est la douceur, bien sûr, la reconnaissance, ce qui se dit avec beaucoup de délicatesse, cette évidence, ce qui a été pris et continue, un peu d’ivresse, l’idéal dont j’ai douté, pensant que je construisais avec les moyens qu’il ne se réalise jamais ou qu’un autre soit masqué par le discours. Il fallait refuser le modèle préétabli, oui, refuser, pour d’autres exigences, mieux placées. Évidemment que la tentation est admirablement forte, où il n’y a pas de premier pas qui compte. Cela se fait, premier retour, tout comme un premier jour. Je me moque bien dans cette intensité de ce qui était prévu, le plan retourné, il n’y a pas de retard, emporter simplement, on verra bien, le même effet au plus sensible, la fois où je l’ai découvert, c’était dans une autre langue (je ne cite jamais mes sources), le temps de s’habituer, on pourrait avoir peur de ne pas comprendre, de se trouver piégés, de ne pas savoir si on aime ou pas, il y a des repères, c’est pourtant simple, un petit extrait qui conduit, sans heurt, je ne voulais pas que cela s’identifie mais je voulais lui rendre hommage, j’avais conçu d’abord le lieu d’où tout émanerait, passage à l’acte, une seule méthode à adapter, nous étions fatigués d’avoir raté un épisode, pouvoir rater, nouvel ordre du monde, à l’instant même, devant la fresque, sans se hâter, se dire qu’on en sortira bien de cette boucle, le mieux c’est le hasard, je l’ai vécu, exceptionnel, quand cela porte tout, que l’on peut s’arrêter pour le plaisir de s’observer. Une fois passée la tentation de tomber dans le circuit dominant, l’adresse est mieux ciblée, dans la pensée ou ailleurs, rassure, non par sa clarté mais par cette échappée que nous venons nous autoriser, ce qu’il manque cruellement dans d’autres milieux d’où l’on ne veut pas sortir, dépendance ou addiction, si proches de toute façon, revenir au même, s’interdisant l’inconnu. Toutes ces histoires s’entremêlant, constituant des motifs. Sûr que c’est une lutte, une lutte qui n’engage rien d’autre que nous-mêmes. Merveilleux, devant le grand bâtiment, j’ose à peine entrer. Se remettre au présent.
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