Ecrire.
Avec des phrases de papier de soie léger
découpé.
Avec des volutes de fumée.
Avec l'écume des vagues aux crêtes déroulées.
Tête baissée. Enfoncer le mur de papier de la vie ordinaire.
Le mur fragile construit volontairement. De l'exiguïté.
L'apparence bête de la vie admise.
Aveugle au petit réel.
En partance pour le grand Réel.
Déchirer le faux.
Pour surprendre le vrai.
Assassiner le factice.
Guetter la naissance du vrai.
D'heure en heure. D'instant en instant.
Le grand. Le dernier voyage.
Le voyage désespéré. La quête d'un Océan à l'autre.
D'un continent à l'autre.
A la quête dans les rues du Monde.
Thursday, July 28, 2016
Monday, July 25, 2016
L’impossibilité d’un tout face à l’extase d’un désir de soi et à la surpuissance d’une forme d’inexistence de l’existant
Après des années de « Demain / La mer / Soleil couchant / Rêve éclairant », il passait à une autre forme de fiction de lui-même, écrite au passé, à la fois pour satisfaire son plaisir d’écrire dans le style de ce qu’il avait adoré lire mais aussi parce qu’il lui semblait avoir compris qu’une des conclusions essentielles de tout l’enseignement qu’il avait reçu était de ne pas se laisser faire par les tendances que les historiens souhaitaient comme seules influentes dans la définition d’un patrimoine littéraire et de ne plus s’étonner si son mode d’expression semblait totalement décalé par rapport à tout ce qui était classé à ce moment-là sur les étagères du rayon « littérature contemporaine ».
Il n’avait plus tellement envie de tout dire et son contraire dans une seule et même phrase, de retourner le mot, de brusquer la syntaxe, de projeter sur des murs, d'écrire sur des corps, de faire semblant de s’extasier lorsqu’une phrase avait atteint un tel degré d’incompréhension qu’elle devenait un marqueur social de dérégulation d’un système d’aventures censées à la fois nourrir l’être et son imagination. Il n’avait plus envie, non plus, de laisser croire les analystes qu’ils avaient raison lorsqu’ils avançaient qu’une affirmation portait en elle-même l’inversion du miroir déformant de la réalité. « Enter Ghost / Exit Ghost » lui semblait plus facile à comprendre que « l’impossibilité d’un tout face à l’extase d’un désir de soi et à la surpuissance d’une forme d’inexistence de l’existant, nous conduisant à penser que tout ce que le lecteur vient de lire n’est qu’une longue et pénible supercherie dont la vocation est, sans doute, de provoquer la crise ou, au minimum (mais y a-t-il un minimum évaluable lorsque l’espace reste infiniment ouvert à tous les possibles ?), le doute du sujet ».
Des doutes, il n’en avait plus et s’il allait se laisser conduire dans une série d’imperfections afin d'aboutir à la réalisation de son nouveau roman, alors, il continuerait à s’écrire dans le passé afin d’être sûr qu’en se levant le matin il aurait une longueur d’avance sur lui-même pour se propulser dans l’avenir, voyant en lisant ce qu’il avait longuement reformulé la veille, ce qu’il était déjà devenu, mort, imprimé, presque oublié, et trouver en ouvrant sa porte un véritable présent narratif purgé des angoisses d’un avenir incertain.
Thursday, July 21, 2016
Fuir la beauté d'un paysage désolé
Il avait cependant la douloureuse impression de n'être plus que l’un de ces personnages qu’il avait tant aimés en lisant des romans réalistes, ceux qui l’avaient aidé à mieux appréhender l’histoire que son propre peuple avait traversée, tant de guerres et tant de haine, convaincu que ce genre était né en partie pour cet objectif-là, venant s’ajouter aux horreurs qu’on lui avait racontées à l’école sous la forme de fiches à apprendre par cœur, de tableaux d’innombrables tortures et parfois même des reportages affreux d’une forme de décadence de la nature humaine.
Ces faits avaient beau porter en eux l’histoire réelle, il avait jusqu’ici réussi, — parce que toutes ces périodes n'avaient jamais été évoquées ni par ses parents, ni par aucun de ses grands-parents qui, même s’ils étaient partis tragiquement trop tôt, n’avaient pas été directement concernés, soit qu’ils étaient ailleurs, soit qu’ils étaient de simples prisonniers de guerre presque protégés par leur statut dans quelque prison provinciale —, à laisser ces événements dans une zone nébuleuse de la fiction romanesque.
C’étaient autant d’histoires racontées, mais elles restaient toujours liées à un auteur, un titre, des personnages qu’au mieux on pouvait transposer sur une scène, au théâtre, à l’opéra, ou sur un écran. Tout n’était pour lui devenu que des sortes d’objets d’art qu’on continuait d’admirer avant tout pour toute l’émotion tragique qu’ils véhiculaient.
La vie, la vie de tous les jours, il la voyait défiler et l’analysait avec tout le bagage intellectuel qu’on lui avait transmis, — c’est-à-dire, avec ses propres moyens—, tâchant de se faire une opinion saine de l’actualité afin de pouvoir formuler un avis, non seulement lorsqu’il lui arrivait de participer à ces quelques débats qui faisaient en quelque sorte partie du jeu socialisant des conversations de soirées, mais aussi pour lui-même, pour se rassurer d’être un bon citoyen qui adhèrerait à un mouvement politique en conscience, se verrait même prêt à militer pour défendre les valeurs auxquelles il tenait ardemment, et voterait avec la ferme conviction de faire pencher la balance du côté d’un mieux-être social, chose à laquelle il se refusait de ne plus croire quand il entendait partout autour de lui, dans les médias, mais aussi dans les groupes auxquels il appartenait, que voter, militer, ne servait plus à rien et que les politiques, comme s’il s’était agi d’une race de femmes et d’hommes à part, étaient tous les mêmes, des crapules n’ayant qu’un seul objectif : s’enrichir.
Il voyait cependant passer peu à peu toutes les composantes d’un excellent roman policier, commençant à craindre autant en rêve que dans la vie réelle, que la menace se fasse de plus en plus concrète et qu’il faille bel et bien faire partie d’un de ces mouvements de révolte dont on écrirait plus tard l’histoire lorsque les peuples, libérés, avec, parmi eux, des archéologues de la pensée avides de reconstituer ce qu’on leur avait refusé d’approcher pendant de longues années, pourraient enfin découvrir et dévoiler les mystères des heures les plus sombres de leur plus proche passé.
Il le constatait amèrement : le pays dans lequel il vivait était bien en phase de fascisation.
Il avait pourtant réussi à le formuler dans tous les combats qu’il avait menés, évoquant avec inquiétude un mouvement qu’il avait désigné comme une forme de féodalisation du système, sentant que l’action globale était en train de fissurer le corps social en créant des fossés où se jetaient sans protection tous les misérables qui n’avaient déjà plus accès au château des richesses et n’avaient plus aucun moyen de comprendre les codes d’une administration qui s’était construite dans le but de les exclure définitivement de leurs problématiques internes, acceptant qu’un faible pourcentage de la population (les statistiques étaient fort à la mode) pouvait être sacrifié si une partie, leur partie, profitait mieux, vivait plus longtemps, bref, était vouée à enrichir les gènes d’une race plus conquérante, volet tristement méritant des nouveaux warriors de la planète, bientôt chevaliers de l’espace tout entier.
La génération Star Wars, qui avait vu un Empire monter en puissance grâce à la manipulation des peurs citoyennes, était en train de voter dans les deux assemblées, réunies sous l’égide d’un état d’urgence constamment renouvelé, des lois liberticides rédigées uniquement dans le but de garantir aux puissants un règne plus pérenne et, semblant dévoyer sans scrupule le rôle protecteur qu’un peuple naïvement éduqué dans la croyance d’une révolution aboutie leur avait délégué, tous allaient, main dans la main, à coup de matraques parlementaires, anéantir en une même semaine le code du travail et le code pénal.
Le calendrier était bien choisi. La plupart des citoyens étaient en vacances. Les chaleurs de l’été invitaient chacun à préférer passer du temps sur les terrasses, sur les plages, avec un bon bouquin, plutôt que de se renseigner en lisant leurs journaux quotidiens, car les bonnes promesses lancées pour satisfaire l’intarissable soif des chaînes d’information continue n’avaient été qu’un leurre : l’Europe, malgré l’opposition du peuple et celle faussement affichée du premier ministre en exercice, allait signer des accords commerciaux outre atlantiques et tout, dans la loi nationale, avait donc été préparé pour recevoir l’hégémonie américaine qui, avant d’être une hégémonie de territoire, ce qui était loin d’être négligeable, représentait l’hégémonie d’une pensée entièrement fondée sur l’exercice et les soi-disant bénéfices d’un aspect purement économique.
Il assistait en direct à la mise en forme d’une dictature de l’Esprit et savait qu’à présent il ne pourrait plus être qu'une sorte d’auteur virtuel, agissant dans l’ombre, à l’abri des médias, avec la conviction que ce serait le seul moyen d’encore participer à l’écriture du réel, au minimum, et c’est pourquoi s’attachait à son âme un air si désolé, pour laisser une trace et dater à partir de quand il ne fut plus possible, au XXIème siècle, d’assurer le maintien d’un projet progressiste garantissant la paix sociale aux générations à venir, mais aussi, afin de les prévenir, au gré des hasards d’une recherche passive plus attirée par la vision d’un grand coucher de soleil que par l’apparition d’un texte littéraire, qu’avec tant de coïncidences, il était peut-être temps de s’alarmer. Au pire, de se préparer à fuir.
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