Friday, March 26, 2021

Chroniques de l'invisible - 446

Oh, il n’y a jamais de hasard pour ces choses-là. Et puis, j’avais à aller vers le pire pour que la réalité passe. Comme une lettre à la poste. Pas tant d’indices que ça. On n’a pas eu le droit d’entrer avant qu’ils ne retirent tous les corps. Plus tard, on nous expliquera. On nous donnera une version. Résultat d’enquête. Y compris le témoignage des voisins. On ne les entend pas d’habitude. Non, non, justement. C’est ça qui est perturbant. Ça n’a pas crié. C’était à cause de l’heure, ou des bruits. On ne les entend jamais mais on l’identifie tout de suite. Le corps qui tombe. Un autre corps qui tombe. On ne sait pas trop. Des meubles projetés, des bris de verre. En tirant sur la nappe, peut-être. Ou la télé. Étrangement long. Le corps paniqué, frappant le mur, le sol, les murs. Assourdissant. Puis rien. Il m’a dit : y’a quelque chose de pas normal. Tout cela qu’il faut reconstituer après. Longtemps après. Car la première fois qu’on entre, une fois autorisés, il n’y a presque rien. La lumière douce. Le livre avec son marque-page. Ça sentait la lessive fraîche. Des meubles bousculés. Puis, on voit tout ce qui a été brisé. Au cœur de l’histoire, désormais, parce qu’il y a eu un tournant dans l’édification, une sensation nouvelle, partagée, de ce que l’on reconnaît seulement d’une douleur passée, un flash de la mémoire corporelle.

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